Première
par Thierry Chèze
Son nom avait fait la une des journaux pour avoir été détenu arbitrairement en Turquie - faussement accusé d’activités en lien avec le terrorisme alors qu’il ne faisait que couvrir le quotidien riche en conflit de la région, mais du côté des Kurdes – puis libéré de haute lutte après une intervention du Président Macron en 2017. Mais on découvre avec Tranchées un nouvel arc des talents du journaliste Loup Bureau. Il passe en effet ici pour la première fois à la réalisation d’un documentaire qui, tourné en 2020, trouve évidemment un écho tragique dans la situation que vit aujourd’hui la planète avec la guerre en Ukraine. Pour Tranchées, il avait en effet passé plusieurs mois au Donbass, dans une casemate des avant-postes de l’armée ukrainienne, sur la ligne de front où les positions ennemies des séparatistes pro-russes étaient à portée de regard. Une immersion fascinante par son alchimie parfaite entre fond et forme. Car Tranchées est un film de parti pris. Ses images d’un noir et blanc sublime (où l’on perçoit son passé de reporter- photo), ses fascinants plans- séquence déambulatoires comme le format 4/3 utilisé donnent du relief et de la profondeur à ce voyage dans un quotidien fait d’attente, d’ennui qu’on trompe en jouant aux jeux vidéo, de camaraderie, de bombardements, de courses pour se terrer dans les bunkers, d’angoisse… alors que la mort qui rôde n’a pas de visage. Mais cet esthétisme n’a rien de gratuit, il permet d’être au plus près de ces soldats, dont Bureau se montre aussi un brillant confesseur des confidences au fil de ce temps qui s’étire alors que plus les jours passent moins cette guerre à la fois si proche et si lointaine d’eux ne semble vouloir prendre fin. On se demande parfois ce que le cinéma peut apporter à un sujet en apparence essoré par les chaînes d’info Avec Tranchées, Loup Bureau apporte la plus flamboyante des réponses.