Comme "Birdman", mais en vrai. Depuis sa présentation à la Berlinale, on sait que "Victoria" est un plan séquence de 134 minutes, un plan ininterrompu qui suit le trajet d’une femme de sa sortie de boîte de nuit jusqu’à un braquage raté. Dès l’introduction, une scène de clubbing suffocante, le film s’affirme comme un geste de virtuosité insensée et démonstrative. Comment mettre en scène une histoire sans montage ? Cette question, qui obsède les cinéastes depuis Hitchcock, Schipper la résout en comprimant sa narration mouvementée (on passe d’un marivaudage Erasmus à un nouveau duo d’amants criminels) dans un tour de force sidérant. Il lui aura fallu trois essais, trois nuits de suite, pour réussir son projet, véritable manifeste de cinéma. Schipper cherche l’immersion et le réalisme. Paradoxalement, c’est le moins intéressant, le moins viscéral, même si l’on est scotché par l’élasticité du cadreur (qui entre à l’intérieur d’une voiture, s’infiltre sur le dance floor ou filme une fusillade en mode guérilla). On se rend vite compte qu’entre effet de réel (le début) et accélération fictionnelle (la fin), le film hésite. C’est lorsqu’il réussit à s’extraire des contraintes pour emmener "Victoria" dans une direction sensualiste que Schipper touche le spectateur : dans un ascenseur, l’héroïne et ses copains discutent, leur voix s’atténue et la musique décolle en même temps que les personnages ; deux scènes de boîte deviennent des vagabondages envapés sur des beats technos ; la sortie d’un hôtel ressemble à une libération solaire. "Victoria", qui fait parfois penser à "Noé" (la performance hallucinée), à Tykwer (le portrait générationnel) ou à Kounen (les effets de transe), est fascinant quand son dispositif devient "film-trip". Quand l’arc narratif de l’héroïne, son trajet symbolique et la compression du temps produisent des effets quasiment hallucinatoires.