Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2020 du festival du film francophone
Le film : Adieu les cons de Albert Dupontel
Après un détour multi-Césarisé par l’adaptation d’une œuvre préexistante (Au revoir là- haut), revoici Albert Dupontel à la tête d’un film entièrement écrit par ses soins. Mais d’un projet à l’autre, qu’il l’ait initié ou non, Dupontel construit surtout une œuvre de plus en plus conséquente célébrant à sa manière les accidentés de la vie, les marginalisés par une société trop cynique pour eux.
Adieu les cons met en scène un duo qui, a priori, n’aurait jamais dû se rencontrer. D’un côté, Suze, une coiffeuse atteinte d’une maladie incurable qui veut utiliser le temps lui restant à vivre pour retrouver l’enfant dont elle avait, adolescente, accouché sous X. De l’autre JB un fonctionnaire dépressif qui décide de se suicider après s’être vu privé de manière humiliante d’un poste qu’il pensait décrocher. Et ces deux solitudes vont soudain se percuter quand, venue faire sa demande de recherche, Suze se retrouve mêlée bien malgré elle à la fuite en avant de JB - pourchassé par la police et ses patrons - qui va très vite tout mettre en œuvre pour l’aider à retrouver le fameux enfant devenu grand.
Dupontel n’aime pas pour rien Terry Gilliam. Il y a du Brazil dans la description tant scénaristique (course folle au profit et au jeunisme) que visuelle de l’univers kafkaïen où JB enterrait jour après jour ses illusions. Son propos est éminemment politique mais jamais frontalement. Son arme à lui est double. L’absurde et l’émotion. Dans ce périple de ces drôles de Bonnie & Clyde, son génie du comique de situation burlesque et d’écriture de personnages tous plus fêlés les uns que les autres font mouche. On rit énormément dans Adieu les cons. Mais pas que. Car plus que jamais, Dupontel fend l’armure. Dans l’histoire d’amour qui se déploie entre ses deux protagonistes, dans la manière dont JB joue les Cyrano pour un jeune homme trop timide pour déclarer sa flamme… Dupontel croit en la beauté de ses personnages, en la puissance romanesque de l’univers qu’il a créé et des situations qu’il a imaginées. Son cinéma ne mêle pas les genres, il est un genre à lui seul. Surprenant, bouillonnant, mû par la certitude qu’il vaut mieux rire ensemble de la déshumanisation qui nous gangrène que de rester seul enseveli par ses larmes. Adieu les cons est le film d’un pessimiste joyeux. Il l’interprète avec une maestria éblouissante, entouré par sa bande qu’on toujours un plaisir dingue à retrouver (Nicolas Marié, Philippe Uchan, Michel Vuillermoz…) et une nouvelle venue dans cette belle équipe, Virginie Efira, qui déploie ici toute une palette d’émotions contradictoires avec une aisance et un grain de folie jamais pris en défaut. Le Dupontel 2020 est un excellent millésime. A déguster en salles le 21 octobre
Les actrices : Anaïs Demoustier et Josiane Balasko dans La Pièce rapportée
Imaginez le Mocky de la grande époque s’attaquant à une variation moderne de Madame Bovary de Flaubert et vous aurez une petite idée de ce qui vous attend avec le troisième long métrage d’Antonin Peretjatko. Oubliée la relative déception causée par son deuxième film, La Loi de la jungle. On s’inscrit ici plus dans La Fille du 14 juillet qui l’a révélé. Avec cette idée d’une comédie aussi joyeusement absurde que savoureusement politique (la théorie macronienne du ruissellement en prend ici pour son grade, le mépris de classe via les Gilets Jaunes aussi…). Un riche héritier y tombe amoureux d’une guichetière au grand dam de sa mère qui va tout faire pour chasser cette roturière hors de sa famille riche et bourgeoise. Et si celle- ci a de la ressource côté vice et perversité, sa belle- fille va se régaler à lui donner du fil à retordre. Et vite lasse de cette vie entre une Reine mère odieuse et un mari plus enclin à jouer à Tetris que partager son lit avec elle, elle va se trouver un amant. Usant avec subtilité des flashbacks et flashforwards comme du procédé de la voix off, Peretjatko s’appuie surtout sur un redoutable duo d’actrices : Josiane Balasko épatante dans l’outrance et le lâcher prise et Anaïs Demoustier géniale en chrysalide se transformant en papillon ou plus précisément se métamorphosant de proie en prédatrice. A voir en salles en 2021.
La révélation : Charlène Favier avec Slalom
Liz a 15 ans, une mère peu présente, un père aux abonnés absents et un rêve dont elle ne s’est jamais sentie aussi proche – devenir une championne de ski – en accédant à une formation sport- études privée dirigée par un entraîneur rude et cassant mais qui a vite repéré le potentiel de l’adolescente. Slalom pourrait donc être l’histoire d’une success- story avec ses hauts et ses bas qui s’achèverait en beauté par une collection de médailles. Mais ce premier long métrage de Charlène Favier nous emmène ailleurs. Vers les sommets certes car Liz gagne. Mais d’abord et avant tout vers une descente aux enfers étouffante. Car Liz est tombée sous la coupe de cet entraîneur qui va franchir la limite de son intimité… en faisant fi d’un non- consentement qu’il paraît ne jamais voir. Slalom - qui sortira le 4 novembre - est un film majeur sur l’emprise. Avec très peu de cris et de heurts. Mais une douleur intérieure de plus en plus violente et sourde face à une figure tutélaire qu’on admire, dont on espère qu’il vous admire et qui va tout faire voler en éclats comme on piétine un champ de fleurs à peine écloses. La maîtrise du récit comme d’une réalisation étouffante est ici remarquable. Le choix du casting – Jérémie Rénier et Noée Abita – est aussi juste que ce que ces deux comédiens épatants font de leurs rôles, jouent avec l’ambiguïté comme si leurs personnages refusaient longtemps de voir et d’admettre le mal qu’il fait pour l’un, le mal qu’elle accepte pour l’autre. Impressionnant.
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