Le réalisateur octogénaire évoque son rapport à la mort dans un techno-thriller totalement inopérant sur le plan du suspense, mais assez touchant dans sa dimension intime.
David Cronenberg, revenu au cinéma après un vrai-faux départ à la retraite dans le courant des années 2010, approfondit avec ces Linceuls la veine inaugurée par Les Crimes du Futur il y a deux ans : voici un nouveau "petit" film, épuré et minimaliste, très bavard, mais également très personnel, et un brin ironique sur les bords. Prétextant une intrigue de techno-thriller parano, le film, né dans l’esprit du cinéaste après le décès de sa femme Carolyn en 2017, vaut surtout pour la plongée qu’il offre dans les pensées les plus intimes et obscures de son maître d’œuvre.
"How dark are you willing to go ?" ("Jusqu’où êtes-vous prêts à aller dans la noirceur ?") demande Vincent Cassel dans l’une des premières scènes du film. L’acteur français joue Karsh, sorte d’alter-ego du réalisateur canadien (élégante chevelure blanche et manières d’intello zen faisant foi), un entrepreneur de pompes funèbres futuristes qui a inventé une technologie permettant d’observer en temps réel les corps en décomposition de ses proches, depuis leur tombe – une idée qui lui a été inspirée par la perte de sa femme Becca (Diane Kruger), dont il ne parvient pas à faire le deuil, et qui lui apparaît régulièrement en rêve.
Ce que raconte ici Cronenberg sur la place qu’occupe le corps de l’être aimé dans notre rapport au monde, à l’amour, au couple, est traité dans une fusion de romantisme et de sécheresse spectrale, de flambées érotiques et de visions morbides, teinté des idées tordues qu’on continue d’attendre du réalisateur de Videodrome – Les Linceuls nous invite ainsi à une sorte de psychanalyse du deuil flirtant avec la nécrophilie.
Ces réflexions stimulantes, ponctuées de quelques images frappantes, sont malheureusement enrobées dans une intrigue à laquelle Cronenberg lui-même fait à peine semblant de croire ; un thriller franchement fumeux, une enquête autour de la profanation des tombes connectées de Karsh, où se mêlent espionnage russe et chinois, religion, écoterrorisme, conspirationnisme, IA, et des écrans, plein d’écrans. Des signes du contemporain qui sont agités de façon tellement désinvolte et désinvestie qu’ils finissent très vite par révéler leur part ironie. Les scènes bavardes, aux dialogues parfois impossibles, s’enchaînent selon le même faux rythme atone qu’affectionne désormais le cinéaste. A force de détachement, d’épure fantomatique, le film lui-même finit par ressembler à une chair exsangue, en voie de décomposition, un membre fatigué manquant de se disloquer à tout moment. Mais Cronenberg l’assume, dans un mélange au fond assez attachant de gravité et d’humour noir.
Les Linceuls (The Shrouds), de David Cronenberg, avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce… Au cinéma le 25 septembre.
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