I Saw the TV Glow, un OVNI sensoriel [critique]
A24

En fusionnant les univers de Cronenberg et Lynch dans un récit identitaire, Jane Schoenbrun donne naissance à un film aussi étrange que captivant.

I Saw the TV Glow sort directement en France ce lundi en VOD (vous pouvez notamment le louer sur Première Max), sans passer par la case cinéma. Ce film produit par A24 avait séduit la rédaction de Première lors de sa présentation au Champs Élysées Film Festival cette année. Notre critique : 

Timide, simple et solitaire, Owen (Justice Smith) mène une vie d’une fade banalité. Jusqu’au jour où il fait la rencontre de Maddy (Brigette Lundy-Paine), de quelques années son aînée et qui lui fait découvrir le meilleur moyen d’échapper à cette réalité morose : la télévision. Et plus particulièrement, The Pink Opaque, une série « buffyesque » diffusée tous les samedis soir sur la chaîne des jeunes. Celle-ci a pour héroïnes Tara et Isabel, deux adolescentes connectées par la pensée qui, ensemble, doivent combattre un ennemi diabolique répondant au nom de Mr. Melancoly, et ses sbires envoyés sur Terre. (Netflix tiendrait là son prochain succès s’il reproduisait cette série). Owen et Maddy deviennent totalement accros à leurs aventures mais quand le show est annulé et que Maddy disparaît brutalement, une série de phénomènes étranges va venir chambouler leur quotidien, brouillant peu à peu la frontière entre réalité et fiction à la façon d’un écran enneigé sur un téléviseur.

Une main sortant d’un écran, un corps y entrant, David Cronenberg avait déjà breveté le concept dans Videodrome, mais Jane Schoenbrun le pousse encore plus loin en y ajoutant une intrigue traversée par des retournements de situation aussi énigmatiques que symboliques. Vous en dire plus serait vous gâcher l’expérience. Cronenberg aurait-il imaginé un personnage se scalpant et découvrant en son être rien d’autre qu’un écran troublé ? Ou que notre monde soit en réalité la continuité d’une fiction dans laquelle les protagonistes seraient pris au piège ? Dans cet univers qui évoque aussi le cinéma de David Lynch et où les personnages sériels semblent trouver leur origine chez Méliès ou dans de vieilles séries, I Saw the TV Glow fait de la science-fiction surnaturelle un outil de mise en scène et de questionnement autour de soi.  

I Saw the TV Glow, un OVNI sensoriel [critique]
A24

"Je sais qu’il y a quelque chose qui cloche chez moi – mes parents le savent aussi, même s’ils ne disent rien." Justice Smith parvient très justement à retranscrire toute la gêne de son personnage : il ne semble pas savoir ce qu’il aime, mis à part la télévision, ni ce qu’il est. Il n’a sa place nulle part sauf devant un écran, et admet à plusieurs reprises avoir le sentiment d’être vide, peut-être même de vivre dans le corps d’un autre. Ou plus précisément… d’une autre. Car Owen est Tara et Maddy, Isabel ! Et c’est en tuant les corps hôtes que leurs véritables identités se réveillent, faisant au-delà de la dichotomie réalité/fiction d’Owen/Tara, une allégorie de la trans identité que Jane Schoenbrun, cinéaste trans et non-binaire dépeint et met en lumière sous des néons violets, bleus et roses, à la manière de  son premier long  We’re All Going to the World’s Fair, resté inédit dans les salles françaises.

Impossible de zapper devant I Saw the TV Glow. Immédiatement intrigué par cet ovni sensoriel produit par Emma Stone, on se laisse porter, guidé par un récit brisant le quatrième mur et par un mystère qui restera pour partie intact même après son ultime image. Espérons qu’il puisse trouver un jour le chemin de la salle.

De Jane Schoenbrun. Avec Justice Smith, Phoebe Bridgers, Fred Durst … Durée : 1h40.