- Fluctuat
Juan, apprenti arnaqueur touchant de maladresse, veut augmenter ses revenus afin d'aider son père. Empêtré dans une situation délicate, il s'en sort grâce à l'ingénieuse intervention de Marcos, un escroc professionnel au physique de roc et fort persuasif. Ce dernier recherche justement un partenaire, plus par exhibitionnisme que nécessité, son précédent complice ayant disparu de la circulation. Juan semble avoir intérêt à tirer profit de cette rencontre. Une association naît alors naturellement pour une journée, à l'essai, sous la forme d'une relation maître/élève.
Longtemps assistant-réalisateur, Fabian Bielinski nous propose une rafraîchissante première réalisation pleine de promesses. Il a pu financer son projet en remportant un concours de scénario de manière tout à fait mérité. Il s'agit en effet d'un thriller intelligent et bien rythmé servi par une réalisation sobre. Il présente l'originalité de n'utiliser aucune arme à feu (deux revolvers, dont un à... eau, apparaissent à l'écran sans qu'aucun coup ne soit tiré). En fait, le véritable détonateur se révèle être le verbe, la gouaille, la " tchatche ", en résumé la séduction par le langage. C'est elle qui impulse le mouvement. Elle aussi qui permet à l'intrigue de rebondir grâce une mécanique scénaristique que l'on devine millimétrée et qui constitue la réussite la plus évidente de ce film-surprise. Que l'on devine seulement car, comme les protagonistes, on ne sait jamais vraiment où l'on va et qui tire les ficelles. Cette dimension est d'ailleurs présente dès le début. Le spectateur en prend conscience en même temps que les héros et se méfie, lui aussi, des apparences. S'instaure alors un sympathique et captivant jeu cérébral qui met notre sagacité à rude épreuve : quels sont les intérêts non dévoilés ? Qui ment ? Pourquoi ? Et, s'il ment maintenant, cela ne remet-il pas en cause ce qui précédait ? etc* On est donc amené à construire plusieurs histoire dans l'histoire, à la réinterpréter, à envisager de nouveaux angles de vue, sans jamais aucune certitude.A partir de cette base solide, ce film d'apparence modeste est tiré vers le haut par sa peinture quasi naturaliste du spectacle permanent offert par la capitale argentine, captation d'une société modelant les individus qui la peuplent. Le récit étalé sur 24 heures s'inscrit dans la règle de l'unité de temps. Elle lui fournit non seulement un cadre dramatique, prétexte à un habile suspense, mais aussi et surtout la vraisemblance nécessaire à la mise en place de l'arnaque principale : revendre neuf timbres (vrais ou faux ?) supposés de grande valeur sans qu'on ait le temps de les expertiser trop précisément. L'unité de lieu est également respectée : il s'agit de Buenos Aires, grand théâtre des faux-semblants où chacun se déguise pour jouer le rôle qui lui permet de survivre. En son sein, trois espaces se distinguent. Un café sert de bureau aux compères et figure les coulisses, là où ils posent les masques et envisagent la suite de la pièce. Celle-ci trouve une scène en un grand hôtel très clair, transparent (trop?). Le tout se développe dans le quotidien urbain d'une mégalopole où il faut savoir décrypter les apparences car les déguisements sont nombreux.Un des charmes du film réside dans ses plans en extérieur. Ils captent l'âme d'une ville qui, comme l'économie, oscille entre deux réalités, visible et invisible, évoluant en parallèle mais parfois s'entrechoquant de façon brutale (*dans un grand krach). Le moment où Marcos lève le voile sur cette faune grouillante est exemplaire : on découvre, en même temps que Juan, grâce à une superbe séquence, un autre monde, très actif que nos yeux profanes n'avaient pu deviner (untel observe et donne un renseignement par téléphone, un autre est un discret pickpocket, ceux-là sur la moto vont bientôt dérober une sacoche, etc..).Bien sûr, tous ces comportements sont dictés par les conditions socio-économiques du pays. Elles jalonnent l'ensemble du récit, aident à sa cohérence et l'inscrivent habillement dans une réalité qui nous rapproche des personnages. Ils ne sont plus alors les simples marionnettes d'une intrigue à tiroirs trop bien huilée mais des acteurs crédibles dont on comprend les motivations profondes. Soulignons d'ailleurs la qualité de la prestation du duo constitué par Gaston Pauls, séduisant naïf (vraiment ?) et Ricardo Darin, tout en audace et confiance (trompe-l'*il ?).Quant à vous, saurez-vous dénouer l'écheveau avant l'(éventuel) ultime coup de théâtre?
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Les Neuf Reines