Primé à Cannes pour son interprétation saisissante d’un jeune Tunisien paisible basculant dans la violence à force d’humiliations, il revient sur cette expérience et le parcours singulier qui l’a amené à devenir acteur
Comment se passe votre arrivée sur Harka qui vous a valu le prix d’interprétation de la section Un Certain Regard du dernier festival de Cannes ?
C’est mon agent qui a entendu parler du projet et a suggéré mon nom. On était en plein COVID donc on a échangé par Zoom avec Lotfy Nathan – on ne s’est d’ailleurs pas rencontré physiquement que la semaine précédant le tournage – à de nombreuses avant que je sois engagé et que je me lance dans six mois de préparation.
Qu’est ce qui vous a frappé dans ce scénario qui dresse le constat implacable d’une Tunisie où au fond rien n’a changé onze ans après le Printemps Arabe qui avait pourtant suscité tant d’espoirs ?
Le côté inéluctable de la tragédie comme un piège qui se referme sur ce jeune homme tentant de survivre et de subvenir aux besoins des siens après la mort de son père en faisant de la contrebande d’essence. Et ce même si tout au long de la lecture, j’espère une autre issue pour ce personnage. Il y avait une tension incroyable dans ce scénario et elle est restée intacte même s’il a beaucoup évolué depuis.
Vous évoquiez vos six mois de préparation pour incarner ce personnage. En quoi ont- ils consisté ?
Par des échanges avec le réalisateur bien sûr mais surtout un travail personnel pour me glisser peu à peu dans ce personnage en essayant de le comprendre. Je remplis des dizaines de post- it pour retracer les chemins par lesquels il est passé pour arriver à la situation qui est la sienne au début du film. Puis j’arrive en Tunisie. Et là c’est un choc et encore un autre déclic. Car cela fait à ce moment- là dix ans que je n’y ai pas mis les pieds, depuis que ma famille en est partie, dans la foulée du Printemps Arabe. Et, soudain, tout remonte à la surface chez moi. Je suis submergée par les odeurs, les couleurs. Je pleure derrière mes lunettes noires. Je demande à être seul dans un appartement pendant deux semaines avant le premier clap. Et je passe mes journées à me préparer dans la ville. Comme mon personnage boit beaucoup, je m’entraîne à ressentir physiquement cet état, à intégrer la manière de se tenir, de marcher différemment dans la rue qu’il provoque. Puis je me rends à Sidi Bouzid où va dérouler le tournage et Lotfy me présente l’univers dans lequel évolue mon personnage qui se livre au marché noir d’essence, celui des contrebandiers. J’arrive à m’intégrer à leur bande et je me retrouve à partir avec eux à la frontière la Lybie, sur des routes défoncées, où ils roulent à bloc pour ne pas se faire prendre. J’ai conscience évidemment du danger mais je comprends au plus près ce que vit mon personnage et la justesse de ce que Lotfy a écrit. Je comprends que je suis désormais prêt à affronter ce tournage
Comment êtes- vous devenu acteur ?
Je sentais que j’avais une certaine tchatche pour arriver à me sortir de situations un peu compliquées, en saisissant ce qui se passait autour de moi. Donc je crois que je suis vraiment venu à ce métier en observant les autres, en essayant de les comprendre sans les juger. Mais sans avoir en tête le fait de devenir acteur. J’ai commencé par faire un peu de droit pour devenir avocat mais à mon premier stage, j’ai découvert que j’aurais à faire autant voire plus de paperasserie que de plaidoiries. Et ce côté administratif m’a fait peur. Je monte quand même à Paris poursuivre mes études et là je commence à regarder de plus en plus de films, je pousse même la porte d’une école de théâtre mais je n’accroche pas trop. Car je n’ai pas cette culture- là. Ce que je propose dans les exercices est trop « cinéma », on m’explique que je montre trop peu de choses, que je ne suis pas assez expressif. Du coup, j’arrête tout et je redescends à Marseille pour travailler comme agent immobilier puis comme poissonnier, mon autre passion. C’est là quelque temps plus tard qu’un pote me demande à jouer dans un court métrage et que, de fil en aiguille, tout démarre.
Et on vous découvre en 2017 dans Les Bienheureux de Sofia Djama, multi- primé en section parallèle à la Mostra de Venise…
Mais dans un premier temps, ça ne change rien à ma vie. Je continue à être poissonnier à Marseille, je ne veux pas m’installer à Paris car c’est une ville où je ne me suis pas senti bien, où je dépérissais. Mais il se trouve qu’à partir de là, je ne vais plus arrêter de tourner et donc faire mon apprentissage sur les plateaux, grâce aux réalisateurs qui m’engagent et en allant entre les prises observer au plus près le travail des techniciens – avec sans doute dans un coin de ma tête l’idée de réaliser un jour mais d’abord et avant tout pour connaître tout ce qui peut m’améliorer comme comédien en connaissant au plus près tous les détails de la fabrication d’un plan.
Où va-t-on vous retrouver dans les mois qui viennent ?
Le 12 avril, dans Le Prix du passage de Thierry Binisti, aux côtés d’Alice Isaaz. Puis dans Extraction 2, un film de Sam Hargrave (Tyler Rake) écrit par Joe Russo avec Golshifteh Farahani et Chris Hemsworth. Et dans Motherhood, le premier long métrage de la réalisatrice canado-tunisienne Meryam Joobeur, actuellement en plein montage, prolongement de son court Brotherhood, nommé aux Oscars en 2020, qui explorait les tensions au sein d'une famille tunisienne dont le père soupçonne un de ses fils, parti loin pendant de nombreuses années, d’avoir travaillé pour l’Etat Islamique.
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