À l’aube de la sortie de Batman v Superman, interview avec un réalisateur devenu en quelques années le gardien du temple DC Comics au cinéma.
A l'occasion de la rediffusion de Batman v Superman sur TF1 ce dimanche, nous repartageons nos interviews de l'équipe du film de Zack Snyder, qui avaient été en couverture de Première en mars/avril 2016 (n°469/470). Après celles de Ben Affleck, l'interprète de Batman, et de Henry Cavill, qui joue Superman, on poursuit ce samedi avec celle du réalisateur.
Première : Il a fallu beaucoup de temps pour réunir Batman et Superman au cinéma, alors que ce duo semble pourtant être la logique même.
Zack Snyder : Les astres ont fini par s’aligner. Tout le monde a vu les affiches dans Je Suis une légende et c’est en discussion depuis au moins aussi longtemps. Ça semblait inévitable mais en même temps c’était très complexe. Il fallait accorder à ces deux icônes le respect qu’elles méritent.
Est-ce qu’on peut considérer Batman v Superman comme une suite de Man of Steel ?
Ce n’est pas tout à fait une suite. Après Man of Steel, on avait établi le personnage de Superman. L’idée d’introduire Batman est là depuis longtemps, évidemment. Quand on pensait encore à Man of Steel 2, quelqu’un a lancé l’idée : "Peut-être qu’à la fin du film, Bruce Wayne se fait livrer de la kryptonite. Et ce serait la dernière scène… Ou peut-être que Batman et Superman se battent à un moment…". Et là c’était foutu, il fallait qu’on le fasse ! En théorie ils ne peuvent pas se battre… et pourtant c’est ce qui se passe dans le film. Il fallait penser à tous les coups d’échec qui mènent à ce combat. L’un pourrait détruire l’autre en lui soufflant dessus. Alors c’est quoi le secret ? C’est ça le fun du truc. C’est facile de les mettre en conflit parce qu’ils sont moralement très éloignés. Superman a une vision très précise de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Il a une confiance absolue dans le système. Batman a une autre idée de la justice. Ce qui est intéressant, c’est de souffler sur les braises et de voir ce qui se passe.
Interview de Ben Affleck : "Batman est un mec un peu cassé"
La justice, la morale… Tout ça fait écho à beaucoup de choses dans le monde réel. C’est une coïncidence ou une vraie envie de traiter l’actualité à travers la fiction ?
Chris Terrio (le co-scénariste, NDLR) est un mec intelligent. Il est très conscient de l’évolution constante de la morale dans la société. Au-delà de l’aspect fun de ce genre de films, je crois qu’il a vraiment voulu donner plusieurs niveaux de lecture.
Et le film semble se dérouler un monde où on ne sait plus vraiment qui est bon et qui est mauvais.
Pas totalement. L’enjeu est de montrer des points de vue de façon suffisamment fine pour que l’on ne sache plus vraiment de quel côté on veut se placer. J’aime à penser que Batman et Superman ont tous les deux raisons, ce qui rend leur conflit d’autant plus tragique.
Henry Cavill : "Dans la Justice League, le vrai trou du cul c’est Batman"
Qu’est-ce qui vous a poussé à aller chercher Ben Affleck, dont la dernière expérience dans un film de super-héros a été plutôt désastreuse ?
J’ai voulu Ben dès le début. Il me fallait un Batman plus âgé, avec des rides et des cheveux blancs. Qu’on ressente bien qu’il est Batman depuis plus de 20 ans. Ça permet d’offrir un contraste encore plus saisissant avec Superman, qui n’a pas encore perdu son innocence. Et je voulais un grand Batman, physiquement imposant, pas un petit gars. Ben Affleck est parfait pour ça : avec les bottes, il dépasse le mètre 98. Henry Cavill fait 1 m 85. Et j’ai toujours pensé que Batman doit être plus grand que Superman, qu’il le regarde de haut, parce qu’il n’a pas de super-pouvoirs.
Et comme d’habitude, tout le monde a eu un avis à l’annonce de ce nouveau Batman, avant même de le voir dans le rôle.
Je comprends ça très bien. J’étais totalement contre Michael Keaton à l’époque ! J’étais dégoûté. Il était trop petit pour être Batman ! Mais je l’ai aimé dans le film. Pareil pour Heath Ledger en Joker, ça ne me plaisait pas du tout. Puis tu vois le film et c’est une évidence. Pensez ce que vous voulez de Ben Affleck, mais regardez-le ! Il ressemble à Batman, pour moi c’est le meilleur de tous les temps. Dans ma tête, si le Chevalier Noir vous attrape le bras, il vous le casse. Et Ben donne l’impression qu’il pourrait le faire sans sourciller.
C’est un Batman proche de la retraite, qui doit remettre le costume malgré tout ?
Non, ce n’est pas comme dans le comic book The Dark Knight Returns. Il a 45 ans, il fait son truc et est au top, mais la fatigue commence à se faire sentir. Il a tout vu, tout fait. Batman a un peu adopté les méthodes de ceux contre qui il se bat et est persuadé d’avoir fait les bons choix. À ce moment de sa vie, il est allé tellement loin dans le côté justicier qu’il a un point de vue un peu biaisé sur Superman et son pouvoir.
Vous avez été beaucoup critiqué sur la fin de Man of Steel, quand Superman rompt le cou de Zod. Vous avez l’air d’aller encore plus loin ici. Les films DC Comics deviennent-ils de plus en plus sombres ?
On me dit souvent ça. Vous n’avez pas vu les trois films Batman de Christopher Nolan ou quoi ? (rires) Ce n’est pas nouveau. On ne s’est pas réveillé un matin en se disant qu’on allait faire un univers super sombre. C’est Nolan qui a fixé le ton du DC Comics Universe. Après, voilà ce que je pense des critiques qui me sont faites : dans Man of Steel, il tue Zod. Les gens ont dit que ça n’avait pas de sens, alors qu’il le fait dans les comics. Je n’ai rien inventé. Le grand public rattrape son retard sur la mythologie et la nature finalement très contemporaine de ces personnages. Plus le temps passe, plus la relation entre le public et les films de super-héros devient subtile… Je suis un fan, je suis passé par là. Mais je crois que n’importe quel personnage peut faire pratiquement n’importe quoi, parce que je l’ai vu dans les comics. Et les films n’en sont pas encore là. Le truc, c’est que le personnage de Batman peut être utilisé pour rendre Superman un peu plus sombre, mais pas l’inverse. Ce serait une grosse erreur, personne n’a envie de voir ça ! Batman v Superman n’est pas un film plus violent ou sérieux que d’autres du genre. Il a par contre un vrai point de vue et pose les jalons de la Justice League. Je ne dis pas que le ton va devenir plus léger à l’avenir, mais avec des personnages comme Aquaman ou Flash, il va forcément falloir étendre un peu le spectre.
Vous avez déjà commencé. Wonder Woman, Doomsday, Lex Luthor… Vous installez un univers étendu. La méthode est-elle très différente de celle utilisée par Marvel Studios ?
Quand on a commencé à bosser sur le film, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait intégrer plus de personnages à l’histoire. Que ce soit des caméos, un indice qui montre qu’ils existent dans ce monde… Je suis fan des univers étendus et je veux voir la Justice League réunie sur grand écran. Dès la première conversation, il était question de rendre ça crédible. Avec Man of Steel, on a installé la plomberie. Là, on ouvre le robinet. Je ne sais pas comment Marvel s’est techniquement attaqué au problème, mais pour nous tout s’est basé sur notre amour des personnes. En faisant attention à eux, sans trop les montrer dès le départ. C’est assez facile avec Batman et Superman parce qu’ils sont iconiques, mais un personnage comme Cyborg… Il faut l’expliquer doucement au public. Je crois qu’on a trouvé le juste milieu entre les nouveaux personnages et la rencontre entre Batman et Superman.
Le gros "coup" du casting, c’est Jesse Eisenberg en méchant. Personne ne l’attendait sur ce terrain.
On écrivait encore le script quand il a auditionné pour un autre rôle que Lex Luthor.
Lequel ?
Je ne le dirai pas ! Mais il a quitté la pièce et je me suis dit qu’il était tellement génial qu’il pourrait jouer Lex. C’est un personnage très compliqué à caster. Citez n’importe quel acteur, je suis sûr qu’on en a parlé. Le studio a trouvé que c’était une super idée d’embaucher Jesse et ça s’est fait dans la foulée. Il a su mélanger ses propres qualités avec le personnage de Lex. Il est bluffant.
Vous avez un rôle de coordinateur sur ces films, même si vous n’êtes pas toujours derrière la caméra. Comment bossez-vous avec les autres réalisateurs ?
À cause de Justice League, je dois être au courant de tout, sans pour autant être l’enfoiré qui les empêche de faire ce qu’ils veulent. Mais il faut que toutes ces histoires fassent sens. Tant que les personnages arrivent là où ils doivent être à la fin de leurs films, je n’ai aucun problème. Ça ne m’empêche pas de m’extasier sur certains scénarios !
Est-ce que Man of Steel 2 a toujours sa place dans cet univers ?
Je n'en suis pas sûr. On a lancé des idées mais est-ce que son histoire se fait absorber dans celle des autres, ou est-ce qu’il aura des aventures en solo ? Ça pourrait être l’un comme l’autre.
Le trailer indique que Batman a déjà rencontré le Joker. Quelle sera sa place par rapport à Suicide Squad, où il semble très présent ?
Il est présent de façon beaucoup plus sibylline dans Batman v Superman. David Ayer et moi avons beaucoup discuté de ce qu’il serait dans Suicide Squad et j’avais une idée précise de que je voulais pour mon film. On s’est mis d’accord très vite sans empiéter sur le territoire de l’autre. J’ai semé des indices sur la façon dont Suicide Squad s’intègrera à cet univers.
Henry Cavill me disait il y a quelques mois que vous composez vos plans comme des peintures. Que l’improvisation est minimale sur le tournage parce que vous avez une idée très précise du cadre.
C’est vrai. Et je dessine tous les storyboards moi-même. Ça m’a pris cinq mois pour ce film. Je dessine Justice League en ce moment : c’est le costume que je veux pour Flash, c’est comme ça qu’il l’a fait… Dès que je ne dessine pas, ça me rend terriblement anxieux. Et j’ai des réunions sans fin tous les soirs avec mon équipe de cascadeurs pour développer les combats et ce genre de trucs. Je suis très strict sur ce que les personnages peuvent faire ou ne pas faire. Flash par exemple, on en parle tous les jours depuis trois mois. On me propose parfois des choses impossibles selon moi. C’est important de limiter les personnages, sinon ils pourraient faire n’importe quoi : "Et là on dirait qu’il traverserait un mur !". J’aime le challenge que ça impose. J’aime imaginer les comics comme des textes écrits il y a 2 000 ans et auxquels on aurait seulement accès. Comme si on était des scribes, des moines copistes !
Propos recueillis par François Léger
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