Pilier des feel-good movies britanniques, de Love Actually à Good Morning England, Bill Nighy succède au grand Takashi Shimura dans le remake d’un classique de Kurosawa. Pour Première, il explique pourquoi Vivre.
PREMIÈRE : C’est le prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro qui voulait vous voir à l’affiche d’un remake de Vivre. J’imagine que c’est flatteur…
BILL NIGHY : Oui ! Il se trouve que Kazuo Ishiguro et Stephen Woolley, un grand producteur avec qui j’ai déjà fait trois films, sont d’immenses cinéphiles. Ils regardent tout, et nourrissent une passion particulière pour les films britanniques des années 30, 40 et 50. Ils connaissent tous les génériques de ces films sur le bout des doigts, c’est impressionnant. Bref, un soir, ils m’ont invité à les rejoindre à l’un de leurs dîners de passionnés de cinéma et, à la fin du repas, Kazuo Ishiguro m’a dit : « Je sais quel doit être votre prochain film. » Il parlait de Vivre. Il avait toujours voulu réinventer le film de Kurosawa. À l’origine, il ne souhaitait pas écrire le scénario, mais Stephen Woolley, heureusement, a réussi à le convaincre de le faire. Le film a donc été conçu pour moi, ce qui m’a bien sûr rendu très heureux. Ils ont fait appel à Oliver Hermanus, un réalisateur très doué, qui a vu dans ce projet l’opportunité de faire ce qu’il appelle « un film en noir et blanc en couleurs ».
Sur le papier, le projet paraît un peu fou : pourquoi remaker un tel chef d’oeuvre ?
La question se pose, je suis d’accord. Pour un jeune réalisateur comme Oliver, c’est un sacré défi. Le film d’Akira Kurosawa est vénéré. Mais tout ça a été fait avec beaucoup de respect. Kazuo Ishiguro a cherché à apporter des éléments neufs. Ce n’est pas précisément le même film, et ce n’est pas précisément le même personnage. Quant aux thèmes (la mort, la procrastination), ils sont universels, intemporels, aussi importants aujourd’hui qu’ils l’étaient à l’époque de Kurosawa. Le fonctionnaire que j’interprète travaille dans une institution conçue pour que les choses n’avancent pas. Un monument dédié à la procrastination ! Les gouvernements adorent ça. Je suis assez fasciné par le fait qu’une telle tendance individuelle (remettre les choses au lendemain) puisse être reflétée collectivement. Repousser les échéances, nous faisons tous ça, souvent à cause d’une peur inconsciente. Nous le faisons individuellement, mais aussi en tant qu’espèce.
Vivre: Bill Nighy, régal d'humanisme et d'élégance [critique]L’Angleterre des années 50 que l’on voit dans le film, c’est le monde de votre enfance, non ?
Oui. Je pourrais être l’un de ces gosses que l’on voit à l’arrière-plan dans le jardin d’enfants. J’avais 5 ou 6 ans à l’époque. Et mon père n’était pas si différent du personnage que je joue : un homme effacé, très réservé. Beaucoup d’Anglais de cette génération étaient comme ça. Nous avons revu des archives en noir et blanc et je me suis d’abord dit : « Wow, c’est si lointain ! », puis : « Mais au fait, j’étais là ! » Je me souviens des restrictions qui pesaient sur la société : sexuelles, émotionnelles… Le monde est très différent aujourd’hui, il y a eu de grands progrès sur les plans du sexisme, du racisme, de l’homophobie. J’ai tendance à penser que la véritable civilisation commence à peine.
Si ce film avait été tourné en Angleterre à l’époque, Alec Guinness en aurait sans doute été la star…
Exactement ! Ah, sir Alec… (Bill Nighy lève son verre en regardant le ciel.) C’est intéressant que vous disiez ça. Alec Guinness m’a effectivement traversé l’esprit pendant la préparation du film. Ses interprétations étaient souvent flamboyantes, très personnelles, mais je me suis souvenu du Smiley qu’il jouait dans les adaptations de John le Carré. Des performances magistrales. C’est comme s’il se déchaînait dans la retenue, dans la maîtrise de soi, si vous voyez ce que je veux dire. Je crois que je visais quelque chose d’assez proche. Exprimer beaucoup avec très peu.
Kazuo Ishiguro a expliqué que Vivre avait été une sorte de boussole philosophique dans son existence. Y a-t-il des oeuvres d’art qui ont eu le même effet sur vous ?
Le tout premier album de Bob Dylan. J’ai été comme propulsé hors du domicile familial après la découverte de ce disque ! J’ai couru à Paris pour devenir le grand écrivain anglais de ma génération. Bon, je n’ai pas écrit une ligne et j’ai fini par faire la manche au Trocadéro… Mais Dylan, c’était énorme. Ernest Hemingway aussi. C’est une réponse assez prévisible pour quelqu’un de mon âge, mais ses nouvelles ont été décisives dans mon idée de l’art, du style. Et puis, sur le plan du jeu, il y a eu Performance…
Le film de Nicolas Roeg avec Mick Jagger. Logique, pour un fan des Stones comme vous…
Oui, même si, en l’occurrence, c’est James Fox qui m’a fasciné dans ce film. Avant ça, il jouait des types de la haute, bien nés, et là, il basculait chez les voyous, les gangsters. Sa manière de bouger était fascinante, il retranscrivait très bien le fétichisme de leur propre corps que peuvent avoir certains criminels.
Et en termes de look, d’élégance, qui étaient vos modèles ?
Charlie Watts (le batteur des Rolling Stones) ! Il a refusé d’être la fashion victim des années 70. Il fallait un sacré cran pour évoluer en costume trois pièces, les cheveux courts, au sein des Rolling Stones. Voilà ce que j’appelle être branché ! Je l’ai rencontré un jour, dans la rue. C’est lui qui m’a interpellé : « Hey, Bill ! » Ça alors, un Rolling Stones connaissait mon nom… Mon coeur a cessé de battre ! Puis on a discuté, et il m’a complimenté pour la veste que je portais. Un grand moment.
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