Dans Pacifiction, tourné à Tahiti, l’acteur s’est conformé à la méthode singulière du cinéaste Albert Serra. Confessions.
Le cinéaste espagnol Albert Serra, 46 ans, évolue dans une marge où la mise en scène reste une matière vivante, un laboratoire où évolue des êtres obligés d’apprivoiser un cadre pour exister. L’homme aime ainsi s’approprier des figures quasi sacrées pour mieux sonder leur fragilité : Don Quichotte (Honor de Cavalleria), les rois mages (Le chant des oiseaux), Casanova et Dracula (Histoire de ma mort), jusqu’au Soleil (La mort de Louis XIV). Benoît Magimel qui campe ici un Haut-commissaire de la république basé à Tahiti, emboîte donc le pas à tout ce monde-là. S’il fallait désigner un prestigieux pedigree à son personnage de Pacifiction, on évoquerait des héros de Conrad, Melville ou Stevenson. Hommes échoués au milieu du tumulte, en équilibre instable sur un fil perdu.
Charisme impérial
Benoît Magimel a embarqué dans un voyage dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas fourni avec une carte routière pour se guider. Un voyage où il était, l’un des seuls comédiens professionnels à bord. « Albert [Serra] m’a présenté son projet sans scénario. Il m’a juste fait lire quelques lignes d’un traitement, certes très bien écrit, mais qui restait assez vague sur la finalité du film, nous a expliqué au téléphone Benoît Magimel d’une voix claire et enjouée. Je ne connaissais pas du tout son cinéma, mais quand je citais son nom à certaines personnes du métier, je voyais leurs yeux s’illuminer. Nous avons passé un moment ensemble. Il m’a décrit ses intentions, sa façon très particulière de fonctionner, basée sur beaucoup d’improvisations, avec trois caméras qui allait tourner en permanence... J’y ai vu une façon de travailler autrement. Sa personnalité m’a plu. Je suis d’un naturel instinctif, si je sens bien la personne que j’ai en face de moi, je fonce. …»
Résultat, avec un charisme impérial, il joue les princes dans un royaume - Tahiti donc - qui vacille de partout. Son personnage cherche la bonne mesure et surtout, la bonne figure à donner, pour rassurer une population qui soupçonne une reprise possible des essais nucléaire dans la région. Tantôt hâbleur, tantôt mutique, l’homme s’adapte, rôde. Minaude aussi. Magimel marche ici sur des flots d’intranquillité.
Pacifiction - Tourment sur les îles : Benoît Magimel, immense [critique]"Lui et personne d’autre!"
« C’était lui et personne d’autre nous a confié dans un bar parisien Albert Serra. Je me souviens d’une projection au Festival de Cannes d’Une fille facile de Rebecca Zlotowski où il était génial. Je sentais que l’ambiguïté qu’il dégageait pouvait être portée encore plus haut. Benoît a quelque chose de troublant dans le visage. Il donne cette impression de revenir de loin… Quand je lui ai parlé de Pacifiction, j’avais conscience que le projet pouvait paraître un peu fou. J’ai vu devant moi une personne que tu ne peux pas effrayer… »
« Au début du tournage, Albert s’avançait constamment vers moi pour me rassurer afin d’être sûr que j’avais bien compris les enjeux de sa mise en scène. « Mais, je ne suis pas inquiet Albert ! »» a répondu l’acteur. Si je connaissais l’enjeu de la scène que j’avais à jouer, il y avait une grande part d’incertitude. On cherchait en permanence. L’équipe mettait en marche les caméras. Il m’arrivait d’attendre avant d’entrer dans la scène, de prendre le temps d’observer... Il pouvait ainsi se passer des moments de flottement. Mais une fois que je me lançais, la consigne était de ne surtout pas m’arrêter… »
Dans Pacifiction, l’acteur, capitaine courage, est de tous les plans.
Espagne. D’Albert Serra. Avec : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Montse Triola… Distr. Les films du Losange. Durée : 2h45. Sortie le 9 novembre
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