Le film événement des Oscars 2021 sera diffusé en ce dimanche soir sur France 2.
Une pluie de nominations et de trophées est venue saluer outre-Atlantique The Father, le premier long métrage de Florian Zeller. Juste avant la cérémonie des Oscars 2021, où il a remporté les statuettes du meilleur scénario adapté (gagné avec Christopher Hampton) et du meilleur acteur pour Anthony Hopkins, le réalisateur racontait dans Première (n° 517, avec Eiffel en couverture) les coulisses mouvementées de cette adaptation de sa pièce jouée dans 45 pays à travers le monde. Nous repartageons cet entretien à l'occasion de sa première diffusion en clair à la télévision, ce week-end.
Florian Zeller remporte l’Oscar du meilleur scénario adapté pour The Father : "Merci à Anthony Hopkins"Cela fait plus d’un an que la rumeur positive se propage. Depuis la première mondiale à Sundance de The Father, le premier film de Florian Zeller, et les mots du critique de Hollywood Reporter, Todd McCarthy : « Le meilleur film sur les ravages du vieillissement depuis Amour. » Rien que ça ! Un an plus tard, alors que la saison des prix bat son plein outre-Atlantique, Zeller croule sous les nominations et les trophées. Autant de tremplins pour le Graal, les nominations aux Oscars ! En zoom depuis son appartement parisien, Florian Zeller ne boude pas son plaisir. « Le tournage a été si souvent repoussé et la sortie en salles si souvent décalée que tout cela m’apporte une immense joie. Je suis conscient que si cette pandémie s’était produite un an plus tôt, The Father n’aurait jamais existé. »
Le début de cette histoire mouvementée remonte en septembre 2012 et la création de la septième pièce de théâtre de Florian Zeller. Le Père va tenir l’affiche pendant plus de trois ans avec à la clé trois Molières en 2014 pour la pièce et ses deux comédiens, Robert Hirsch et Isabelle Gélinas, qui jouent ce père atteint d’Alzheimer perdant peu à peu pied et sa fille qui tente de l’accompagner dans cette descente aux enfers. Dans la foulée, Philippe Le Guay l’adapte au cinéma pour ce qui restera l’ultime rôle de Jean Rochefort : Floride. Mais le film, mélange mal dosé de comédie et de drame, tombe vite aux oubliettes. De son côté, Florian Zeller n’y a pas participé, occupé à donner d’autres vies à sa pièce en confiant le travail de traduction et d’adaptation en anglais à Christopher Hampton, le scénariste oscarisé des Liaisons dangereuses. De Londres à Broadway, la pièce triomphe dans 45 pays. « Quand j’ai commencé à écrire Le Père, nous explique Florian Zeller, je me suis connecté à une histoire personnelle : j’ai été élevé par ma grand-mère que j’ai accompagnée quand elle a traversé ce labyrinthe de démence sénile. Mais je me doutais que le sujet allait concerner énormément de gens. Accompagner la pièce à travers le monde et entendre ses spectateurs partager leurs histoires après les représentations m’a bouleversé puis projeté dans l’idée d’en faire un film. » Avec le sentiment que cet aspect cathartique prendrait une dimension encore plus puissante sur grand écran.
Pour Zeller, homme de théâtre, le cinéma est une passion de toujours. Il a même réalisé un court en 2008, Nos frivolités avec Sara Forestier. « Passer au long était un désir présent en moi depuis longtemps. Mais j’avais conscience de l’investissement que cela nécessite. Ça n’avait de sens que si le projet prenait plus d’importance que tout le reste. » Le Père sera l’heureux élu. Mais dans la langue de Shakespeare. « Mon rêve s’est tout de suite cristallisé sur Anthony Hopkins. Au-delà de l’admiration que je lui porte, il allait y avoir quelque chose de déstabilisant à voir celui qui a beaucoup joué des personnages dans le contrôle… perdre peu à peu ce contrôle. Soit exactement l’expérience que je souhaitais proposer aux spectateurs : perdre étape par étape quelqu’un qui nous est familier. »
Labyrinthe mental
Avant même d’écrire une ligne, Zeller parle de son idée à deux producteurs français : Jean-Louis Livi (qui avait produit sa première pièce, L’Autre, et son premier court) et Philippe Carcassonne (le coproducteur de Floride) qui a déjà eu l’occasion de travailler avec les Anglo- Saxons. « Je trouvais sécurisant de développer ce projet auprès de producteurs que je connaissais et qui me permettraient de garder le final cut, tradition chère à la France qui ne va pas de soi ailleurs. » Un droit que va parvenir à conquérir de haute lutte le tandem Livi-Carcassonne en obtenant de leurs partenaires étrangers que le final cut soit validé par un panel dont ils auraient la majorité. Une rare exception à une règle connue pour être implacable dans les pays anglo-saxons.
Zeller se met donc à l’écriture de son film. « Redécouvrir son texte est passionnant. Je ne voulais absolument pas filmer une pièce de théâtre ni ajouter artificiellement des scènes extérieures pour faire cinéma. J’entendais rester dans une pièce unique et plonger le spectateur dans un labyrinthe, le pousser à tenter de remettre dans l’ordre les pièces d’un puzzle dont l’une d’elles ferait toujours défaut et empêcherait de le terminer. » En parallèle, Carcassonne et Livi financent le développement du film, ne trouvant le soutien immédiat que d’une seule chaîne de télé, Canal+, et d’Orange Studio qui assurera la distribution du film. Ils engagent Hampton pour traduire le scénario et organisent un casting de producteurs britanniques dont David Parfitt (oscarisé pour Shakespeare in Love) sort vainqueur. À ce moment-là, aucun des producteurs ne pense qu’Anthony Hopkins va embarquer dans l’aventure. Mais rien n’arrête Zeller qui lui envoie le scénario comme une bouteille à la mer. « Anthony vit à Los Angeles depuis des années et ne tourne quasiment plus en Europe. » Mais son agent le contacte pour lui dire que le comédien souhaite le rencontrer. Zeller saute alors dans un avion. « Je me doutais qu’à 83 ans, il n’aurait pas forcément envie de jouer des situations liées à Alzheimer. Mais je savais qu’il n’avait encore jamais joué ce que ce rôle allait lui proposer et qu’il pourrait expérimenter de nouvelles choses. J’ai senti d’emblée qu’il avait vu dans ce matériau une invitation à aller vers un inconnu qui le tentait, à condition évidemment que je sache où je voulais l’emmener. » Or pour Zeller, cette idée-là est très précise. « Lui demander d’être plutôt que de jouer, avec comme ressort principal son propre sentiment de mortalité. » Hopkins accepte tout en lui expliquant qu’il n’avait aucune envie de discussions interminables sur son personnage. « On était sur la même longueur d’onde ! »
Tous les signaux sont alors au vert pour le cinéaste qui décroche dans la foulée l’accord d’Olivia Colman pour incarner la fille d’Hopkins, avant son Oscar pour The Favorite. « J’admire cette comédienne qui dégage quelque chose de magique : dès l’instant où on la voit, on l’aime. Cette empathie immédiate allait constituer un atout majeur pour son personnage et le film. » Un film qu’on pourrait imaginer financé sans difficulté avec un tel casting. À tort. Car débute alors une très longue période d’incertitudes et de stop and go. D’abord parce qu’un partenaire indispensable au financement leur fait faux bond au dernier moment. Ensuite parce qu’Olivia Colman a une fenêtre de tir précise pour tourner, entre deux sessions de The Crown. La situation est aussi limpide que stressante : le tournage doit débuter le 13 mai 2019 ou le film ne se fera pas. « Or le processus juridique anglais est très long, peuplé de pompiers pyromanes. On dépense beaucoup de temps et d’argent à se protéger de catastrophes improbables qui, dans la vraie vie, surviennent une fois sur mille. Comme s’ils appliquaient à des films d’auteur les méthodes employées pour des blockbusters à 400 millions de dollars », explique Philippe Carcassonne quelques jours plus tard. Bref, sans nouvel investisseur, impossible de gagner cette course contre la montre. C’est Christophe Spadone, qui a déjà accompagné Carcassonne dans plusieurs projets, qui va jouer les sauveurs avec un apport décisif. « The Father n’est pas hors de prix [6 millions d’euros] et je n’ai pas eu le sentiment que le sujet faisait particulièrement peur, précise Zeller. Mais cela restait un premier film tourné en anglais, qui ne pouvait donc prétendre à l’avance sur recettes. C’est là qu’on réalise à quel point la France est un pays de cinéma qui accompagne énormément les artistes avec des aides précieuses pour ne pas dépendre de la seule logique du marché. » L’arrivée fin décembre 2018 de la chaîne britannique Film 4 dans la boucle du financement lèvera finalement les derniers doutes.
Insécurité permanente
Le tournage débute bien le 13 mai 2019. « Je l’ai abordé avec un mélange d’extrême nervosité et de grande concentration. Après tout ce qu’on avait vécu, je n’avais pas le droit de ne pas aller au bout de ce que j’avais en tête », reconnaît Florian Zeller. Pour cela, il rompt avec ses habitudes théâtrales en ne faisant aucune répétition. « À la fois pour me mettre dans une certaine insécurité et parce que, pour un acteur aussi intuitif qu’Anthony, répéter aurait solidifié les choses et aurait été contre-productif pour jouer un personnage en insécurité permanente. » C’est chaque jour sur le plateau que ces échanges ont lieu « avec pour but de vivre chaque scène au lieu de les intellectualiser ». Sans cela, tenir le calendrier des six semaines de tournage aurait été impossible dans une langue qui n’est pas la sienne et face à un comédien de la trempe de Hopkins. « À son âge, il considère forcément qu’il n’a pas de leçon à recevoir de quelqu’un qui fait son premier film et l’exprime franchement. Mais Florian est monté au front de manière extrêmement subtile. Il y a eu des conflits mais Hopkins a toujours reconnu que les idées de Florian étaient les bonnes », souligne Philippe Carcassonne. « J’étais prévenu de sa réputation, acquiesce Florian Zeller, mais, très vite, il m’a donné d’autres types de signaux. D’insécurité. De tendresse. Il a cette capacité d’aller loin dans le conflit mais de toujours savoir redescendre et revenir vers l’autre. »
Les critiques louangeuses méritées qui entourent la composition intériorisée d’Anthony Hopkins lui ont donné raison. Et Zeller n’en restera pas là. Le désir d’un deuxième long est déjà présent. Pour l’adaptation d’une autre de ses pièces, Le Fils. En français ou en anglais ? Quel que soit son choix, un Oscar remporté le 26 avril prochain devrait régler bien plus rapidement la question du financement.
Bande-annonce de The Father :
The Father: Florian Zeller réussit ses débuts de réalisateur [critique]
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