La peau douce
MK2

Mal aimé à sa sortie, La peau douce s’est ensuite imposé comme le chef d’œuvre caché du maître, à redécouvrir sur Netflix.

C’est un film qui commence sur des mains qui se caressent, se mêlent de plus en plus fiévreusement jusqu’à ce que celles de la femme mettent le doigt -littéralement- sur l’alliance de l’homme, anticipant le drame à venir. A-t-on jamais vu plus belle allégorie de l’adultère ? Dans La peau douce, où il romançait ses propres difficultés conjugales avec sa première femme Madeleine Morgenstern, François Truffaut creuse le sillon mélodramatique de Jules et Jim en optant pour une forme moins romanesque. Raconté du point de vue de l’homme (solide Jean Desailly), un bourgeois installé qui s’accorde le petit frisson de l’adultère en séduisant une hôtesse de l’air, La peau douce se rapproche en effet du thriller. Les gros plans sur le visage angoissé de Pierre Lachenay abondent, à l’instar des inserts sur des objets ou des parties du corps que le “coupable” regarde comme autant d’évidences de son “crime”. On l’a beaucoup écrit : Truffaut, suivant les conseils de son maître Hitchcock, filmait ici les scènes d’amour comme des scènes de crime pour un résultat époustouflant de tension dramatique et érotique.

Portrait de François Truffaut

Le film ne se réduit pas à un exercice de style froid et mécanique -ce qu’il est en surface. Formidable de spontanéité et d’émotion, Françoise Dorléac compose une jeune femme libre de ses sentiments et de son temps. Elle incarne la modernité face à la vieille France et au patriarcat auxquels, certes, elle s’abandonne pour des raisons qui lui appartiennent -fantasme de la maîtresse entretenue ? amour véritable pour cet homme pressant et respectueux ?. Ce choc des âges et des cultures culmine dans la séquence du week-end en province où les amants ne parviennent pas à se voir par la faute de l’agenda surchargé de Pierre, écrivain à succès dépassé par ses obligations. Le film glisse alors progressivement vers le drame conjugal avec la découverte de la tromperie par la femme de Pierre -magnifiquement interprétée par la méconnue Nelly Benedetti. Les masques tombent, une autre urgence se fait jour pour Pierre : celle de la reconquête de sa femme et de sa dignité. La peau douce prend des accents chabroliens, le vernis social craquèle de toutes parts... On ne vous dévoilera pas le dénouement dont le dernier plan, sublimement ambigu, accentue la nature vénéneuse de cette peau pas si douce.