Joaquin Phoenix dans Napoleon
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Un récit surpuissant, au montage haché, de la vie de Bonaparte, qui manque peut-être d’un angle mais certainement pas de cinéma.

Napoléon s’ouvre sur la décapitation d’une femme : Marie-Antoinette à la guillotine. Cette intro quelque peu déconnectée du reste raconte qu’on a sous nos yeux une version tronquée du film : 2h40 seulement, alors que Ridley Scott promet depuis des mois une version de plus de quatre heures, mais pour le streaming. Son « Joséphine’s Cut », un titre qui pourrait, de fait, s’appliquer parfaitement à cette version salles où l’on découpe les femmes, au propre comme au figuré. En effet, l’impératrice Joséphine n’occupe qu’une position périphérique dans un film bizarrement construit à partir d’une série de morceaux de bravoure découpés à la hache et assemblés dans l’ordre, un peu comme une mind map, censée donner une vaste idée de la vie de Bonaparte. Une idée, et c'est tout ? Disons plusieurs idées, mais qui manquent réellement d'un véritable assemblage qui fasse sens. On sent qu'il manque des trucs, et la performance un poil mécanique de Joaquin Phoenix (qui sort tous ses trucs de jeu, un peu comme s'il interprétait un best of sans enthousiasme) ne rattrape pas trop ça.

Napoléon : Ridley Scott compte bien sortir sa version de 4h en streaming

On pense forcément à la version salles frustrante de Kingdom of Heaven : le film sur les Croisades de Scott n'a donné sa pleine mesure qu'en version longue, focalisée sur Eva Green. Et en 2023, rebelote. Napoléon donne la sensation de n'être que le sommet de l'iceberg, et qu'il faudra attendre pour prendre la vraie mesure du film -d'autant que Vanessa Kirby est pour le coup géniale en Joséphine. Reste que Scott est, et sera toujours, un sacré filmeur : cet assemblage hétéroclite est fait de moments souvent colossaux, jouant sur les contrastes, entre ombre et lumière, entre individu et masse, entre anecdote et grande histoire. Éternel gamin, politiquement génial mais dominé par les femmes, c’est moins Napoléon qui fascine le réalisateur que l’idée de l’inscrire dans de vastes mouvements de cinéma, qu’ils soient faits de bastons, de négociations ou même de rapports sexuels. Voir l’Empereur prendre en levrette Joséphine entre deux batailles rangées permet en effet d’inscrire le film dans la lignée des biopics seventies radicaux (comme le Cromwell de Ken Hughes sorti en 1970 avec Richard Harris, à redécouvrir absolument) qui faisaient plus que déboulonner les statues : ils les dynamitaient. À n’en pas douter, Napoléon est bien de ceux-là.