Vedette du court-métrage queer, son passage au long avec Les Reines du drame est à la hauteur d’attentes pourtant déjà hautes. Langlois détaille les inspirations grand écart de cet ovni mêlant Britney à Fassbinder et le drag à Judy Garland.
Alexis Langlois est loin d’être une bleusaille. En dix ans et quatre courts, son geste s’est déjà amplement assuré, lui bâtissant une solide réputation auprès d’un public relativement initié, celui des festivals de courts-métrages, étendu à un spectre un peu plus large depuis ses deux derniers, qui sont – chose rare – sortis en salles. Son premier long, Les Reines du drame, était donc plus qu’attendu par ce qu’on peut d’ores et déjà appeler une communauté de fans, acquis de longue date à son cinéma queer, fabriqué en bande, souvent drôle, très cru, subversif, parfois presque insurrectionnel, et portant la marque d’une cinéphilie allant de John Waters à Gregg Araki en passant par George Cukor.
Le film est un inclassable musical narrant le rise and fall amoureux de deux icônes imaginaires pop (Mimi Madamour, jouée par Louiza Aura) et punk (Billie Kohler, joué par Gio Ventura), dont Langlois invente les morceaux, les clips, les apparitions télé, sous l’œil dévorant d’un fan transi transformé en narrateur-youtubeur (Bilal Hassani). Cinéaste non binaire, iel nous guide dans les entrailles de ce grand réseau de visions.
Les Reines du drame : un bijou punk et clinquant [critique]Elle est l’inspiration la plus évidente du personnage de Mimi Madamour, la nymphette rose bonbon cachant son lesbianisme. « Britney incarne mieux que quiconque l’idée de l’icône blessée et la dualité du rapport de ses fans et des médias, entre l’adoration et le sacrifice. » Toutes deux sont aussi des fabrications télévisuelles (le Mickey Mouse Club pour Britney et un télécrochet à la Popstars pour Mimi) démolies par une nauséabonde double injonction à être à la fois des petites filles modèles et des sex-symbols. Langlois a reproduit dans son film plusieurs scènes clés du mythe, et plus précisément de sa deuxième partie, la chute : le fan inconsolable implorant de la laisser tranquille, le rasage de crâne… « Mais il y a aussi dans Mimi plusieurs icônes françaises, comme Lorie ou Priscilla, jetées dans le même piège. » Il faut sauver les starlettes.
Les grands cinéastes queer sont toujours des chefs de troupe : John Waters et Gregg Araki, « qui sont forcément un peu là quand j’écris, quoique moins sur celui-ci », mais aussi Fassbinder, dont ce film méconnu de 1975 est cher à Langlois pour sa dimension marxiste. « C’est l’histoire d’un jeune chômeur devenant l’amant d’un homme plus riche, qui va finalement l’utiliser et le dépouiller. » Des déterminismes plus discrètement à l’œuvre, mais néanmoins présents dans Les Reines du drame, « où Mimi et Billie ne peuvent pas vraiment s’aimer à cause de leurs différences d’appartenance sociale. J’aime filmer la communauté, je ne dis pas que ça n’existe pas, mais la classe est plus forte. Le film de Fassbinder dit qu’il n’y a pas de solidarité pédé ».
« Buffy, c’est mes premiers émois. » C’est en bricolant des films ou des bouts de scène avec sa sœur Justine (qui apparaît dans la plupart de ses films) et un caméscope que Langlois a apprivoisé les rudiments du cinéma à l’adolescence. Plusieurs imitations suédées de scènes de Buffy sont sorties de ces années d’apprentissage. « Il y a ce plaisir de l’artisanat, et il y a surtout, bien sûr, le thème du monstre, qui est toujours une allégorie de l’adolescence, une manière de traiter au premier degré une angoisse. Mais aussi toute la question de l’artifice et de la croyance : j’aime transformer une actrice, lui mettre un maquillage fantastique, jouer à devenir autre chose. » À mesure que progresse Les Reines du drame, les affres de l’âge et de la notoriété pendouillent sur les peaux comme des stigmates de silicone.
"Le reboot de Buffy pourrait bien être en route", tease la chanteuse Dolly PartonPourquoi la version Cukor ? « Parce que Judy Garland forever. » Si ce mythe cent fois (bon d’accord, trois fois) remaké est le modèle manifeste de la structure en rise and fall réputationnel des Reines du drame, il n’a pas seulement affecté son récit. « On a aussi, avec la chef opératrice Marine Atlan, beaucoup cherché quelque chose au niveau de l’image, comme un point de rencontre du Technicolor des années 50 et de la télé des années 2000. » Mais c’est évidemment la question de la célébrité comme éternelle répétition de cycles de destruction qui relie les deux films. « On l’a d’ailleurs représentée de façon très littérale avec les scènes de la roue de la fortune. » Cukor aurait aimé avoir l’idée, mais les jeux télé débilitants n’avaient pas encore été inventés en 1954.
5. La nuit queer
C’est en teuf LGBT et notamment dans le club emblématique des Souffleuses dans le Marais que Langlois a rencontré Dustin Muchuvitz, Raya Martigny, Nana Benamer et toute la troupe d’actrices trans qui l’accompagne depuis ses débuts. « C’est un monde qui est drôle, irréaliste, dramatique. On y rencontre un peu des personnages de cinéma, mais qui sont aussi des vraies personnes. Il y a cette tension du vrai et du faux qui m’intéresse beaucoup. » Un monde soigneusement reconstitué dans son premier court métrage produit, Fanfreluches et idées noires (2016), frappante incursion dans un after uncensored, et où iel estime carrément avoir « appris beaucoup plus de choses qu’à la fac ». Vous saviez, vous, qu’on donnait des cours de sensitométrie en boîte ?
6. Pino Donaggio
« C’est une des références qu’on a données à Pierre Desprats, le compositeur de la musique, en pensant notamment à sa partition pour Body Double. » Pino Donaggio est peut-être la meilleure incarnation du liant entre le fétichisme hitchcockien de De Palma et son tropisme eighties, notable à l’image mais tout aussi frappant à la musique : « Il possède à la fois un vrai rapport à Bernard Herrmann, à son classicisme lyrique, mais aussi évidemment à l’électro, avec notamment la scène emblématique sur Relax de Frankie Goes to Hollywood même si le morceau n’est pas écrit par lui. » Les Reines du drame combine de la même manière tubes amplifiés et pièces orchestrales, avec un goût de la surcharge baroque mais un souci permanent de fluidité.
7. Sexy Sushi
C’est un peu plus que la principale inspiration du personnage de Billie Kohler, puisque Rebeka Warrior, moitié du tandem d’electroclash Sexy Sushi, est aussi coautrice de la musique des Reines du drame. Elle a avec Langlois tenté de retrouver la texture de ses débuts : « Une musique qui était la première à parler de nous, qui était queer et punk, même si ça veut tout et rien dire, et en même temps qui a conquis bien au-delà avec quelque chose d’à la fois drôle et vénère. Plein d’hétéros écoutaient et ne savaient pas qu’elle était gouine. » Les paradoxes de la notion de « hit indé » sont au cœur du film, qui joue sur la dualité entre musique commerciale et contre-culture subversive, relation mêlée de rivalité et d’inspirations mutuelles, qui vient se superposer au récit amoureux
8. Judy Holliday
« C’est mon actrice préférée. Elle est étonnamment peu aimée en France. J’ai entendu dire que c’était l’actrice préférée de Deneuve, ce qui serait intrigant puisque c’est un peu son opposée : une pure actrice de composition, débordante d’énergie, pas du tout une statue. » Langlois voit dans l’actrice fétiche de Cukor une avant-gardiste de la transformation de soi, comme dans Un numéro du tonnerre, où elle joue une opératrice téléphonique passant d’une voix à une autre pour endosser différentes identités ; mais aussi du marché de l’influence avec un film comme Une femme qui s’affiche : « C’est une mannequin au chômage qui loue un panneau publicitaire pour y afficher son nom, sans rien d’autre à vendre qu’elle-même. » Une tiktokeuse avant l’heure.
Les Reines du drame : “Ce film dit : 'Essayons de créer du lien, de la douceur.'”
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