Une grande histoire sur la haine et la vengeance, aussi poétique que troublante.
La frontière était de plus en plus poreuse depuis quelques années, affaiblie par les coups de boutoir de quelques créateurs persuadés que la démarcation entre cinéma et jeu vidéo était une question de l’ancien monde. Mais si les tentatives plus ou moins heureuses de David Cage (Beyond : Two Souls, Detroit : Become Human…), des frères Houser (Red Dead Redemption 2) ou d’Hideo Kojima (Metal Gear Solid, Death Stranding…) laissaient entrevoir un futur hybride, le constat était rigoureusement le même au moment du générique de fin : celle belle idée d’une fusion totale ne fonctionnait que par instants, fugaces (une cinématique par-ci, un pur moment de contemplation par-là), avant que la nature même du jeu vidéo (le besoin de « jouer », et les mécanismes qui vont avec) ne cannibalise toute l’entreprise.
Difficile, avec tout ça en tête, de réprimer un sourire en lançant The Last of Us 2, quand apparaît à l’écran le sentencieux : « Réalisé par Neil Druckmann ». Et pourtant : à 42 ans, l’Israélo-Américain devenu vice-président du studio Naughty Dog vient de réussir ce qu’il touchait du doigt avec le premier The Last of Us. À savoir un jeu si maîtrisé dans ses moindres aspects (techniques, narratifs) qu’il réussit à nous faire oublier l’existence même d’une frontière - sans pour autant rogner sur le gameplay -, faisant de l’action et de l’interactivité le moteur de son scénario. Une oeuvre d’une ambiguïté et d’une noirceur dingues, qui suit la piste indé sans jamais oublier son statut de blockbuster.
La vengeance dans la peau
Toujours situé dans un univers post-apocalyptique où rôdent de nombreux infectés prêts à vous faire la peau, The Last of Us 2 reprend quelques années après la troublante fin de son aîné, quand (spoiler) Joel sauvait Ellie, sacrifiant au passage un vaccin qui aurait pu sauver l’humanité de la pandémie. Désormais installés dans un petit village où se rassemblent des dizaines de survivants, le duo mène une vie presque normale, entre deux sorties pour récupérer des vivres et exterminer les quelques zombies qui s’aventurent encore dans le coin.
On ne rentrera pas ici dans le détail de l’histoire, surprenante à plus d’un titre. Sachez seulement qu’Ellie y sera forcée de reprendre la route, et que son destin se mêlera à celui de nouveaux groupes d’humains plus ou moins sains d’esprit, le Front de Libération de Washington et les Scars. « Les thèmes de The Last of Us 2 sont basés sur une vérité universelle : si nous sommes capables d’un amour inconditionnel, nous sommes tout autant capables d’une haine infinie. Et ces deux sentiments sont inextricablement liés », résume Neil Druckmann dans sa note d’intention. La vengeance et la violence qui en découle, il en sera effectivement question durant l’intégralité de TLOU 2, forçant même le joueur à se questionner sur sa responsabilité dans les massacres qui ont lieu à l’écran. Bien qu’essentiellement basé sur l’exploration (les plus fouineurs seront d’ailleurs toujours récompensés), le jeu garde en son coeur un gameplay hérité d’Uncharted, avec des gunfights sanglants.
Il n’est pas rare qu’après avoir fait parler la poudre, un personnage non-joueur vous supplie de ne pas le tuer, ou au contraire vous provoque pour que vous l’acheviez. Ces phases, mêlées à des changements de point de vue redoutables sur une même situation, permettent à Naughty Dog d’aborder frontalement les critiques sur la dissonance ludo-narrative d’Uncharted (en gros : comment un personnage aussi sympathique que Nathan Drake peut-il se transformer en tueur en série lors des phases de combat ?). Le jeu justifie ainsi sa brutalité autant qu’il la condamne, et en profite pour sonder jusqu’à l’épuisement où un être humain peut (doit ?) aller pour obtenir réparation. Aussi fascinant qu’éprouvant moralement.
Bond technologique
Là où GTA n’envisage l’Amérique qu’à travers ses excès et son abondance, TLOU 2 s’intéresse aux restes putrides d’un pays dépossédé de tout, rattrapé par une violence qui est à la fois son péché originel et son chant du cygne. Ce qui n’empêche pas la poésie : Druckmann et ses équipes se savent en pleine possession de la technique nécessaire pour créer autour d’Ellie, Joel et les autres de purs moments de sidération, à l’image de la scène des girafes du premier The Last of Us. Avec à la clé plus de cinéma que tous les films de l’année réunis.
Visuellement, TLOU 2 est une claque de tous les instants (même sur une PS4 « classique »), le genre de jeu qu’on ne voit qu’à la fin de la vie d’une console, quand les développeurs ont acquis une maîtrise totale de la machine. Mais au-delà d’une gestion bluffante de la lumière et du travail méticuleux sur les décors, le vrai bond technologique se lit dans yeux et les expressions des personnages principaux, d’un réalisme sidérant. Un tour de force de motion capture, couplé à un doublage de haute volée, donnant une épaisseur inédite à ces êtres dont on ne questionnera pas une seconde la matérialité.
Pour autant, le jeu de Naughty Dog n’échappe pas à quelques approximations dans son gameplay (qui a très peu évolué depuis l’épisode précédent, mais se glisse imperceptiblement dans l’histoire), ainsi qu’à des longueurs (le jeu semble arriver à sa conclusion au moins trois fois, avant de repartir de plus belle). Il pèche aussi par excès de combats, mais se rattrape largement dans ses scènes horrifiques à l’ambiance oppressante, peuplées de monstres qui apparaissent quand on s’y attend le moins (les jump scares sont proprement terrifiants). Ce qu’on a vu de plus puissant sur un écran depuis… depuis quand, déjà ?
The Last of Us 2, exclusivement sur PlayStation 4. Disponible le 19 juin, 69,99 euros.
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