Sauve qui peut la vie
American Zoetrope

Une poésie entre l’exil et la rupture visuelle : voici la vie filmée par Jean Luc Godard avec Isabelle Huppert, Nathalie Baye et Jacques Dutronc.

Le 15 octobre 1980 sortait Sauve qui peut (la vie), le premier film commercial de Jean-Luc Godard en 12 ans, qui avait représenté la Suisse en compétition officielle au festival de Cannes, convoitant à l’époque la Palme d’or aux côtés de Loulou, de Maurice Pialat, et de Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais. Le film ne remporta rien et divisa la critique, et même si on rapporte que Bertrand Tavernier aurait fondu en larmes, à Cannes, Godard est traité de dégénéré et de pornographe.

L’histoire se concentre autour de trois personnages, Denise Rimbaud (Nathalie Baye), Paul Godard (Jacques Dutronc) et Isabelle Rivière (Isabelle Huppert), qui, comme l’a voulu Godard, symbolisent l’imaginaire, la peur et le commerce, la musique réunissant les trois protagonistes. Chaque personnage vacillant entre rupture et exil toujours dans le désir de partir. Si Denise incarne le mouvement vers l’inconnu, Isabelle, la prostituée, se soumet à la mécanique dégradante du commerce, tandis que Paul représente l’immobilisme et l’indécision, incapable de choisir entre Denise (qui le quitte pour partir vivre à la campagne), son ex-femme (Paule Muret) et sa fille adolescente (Cécile Tanner).

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Avec ce film manifeste, Jean-Luc Godard illustre dans une séquence burlesque la soumission à la fois au désir et au profit. Les personnages assistent au déroulement de leur vie qui se sauve et dont chaque seconde les rapproche un peu plus de la mort. Une mort dont Paul ne peut même pas prétendre car il le dit lui-même allongé après un accident : "Il n’y a rien qui défile", la vie il ne l’a pas vécue donc il ne peut pas mourir.

Le mouvement est au centre du film, on vient on part, d’une vie à l’autre et d’une ville à l’autre. Il s’agit de réinventer l’art de filmer les corps et les paysages, réinventer la narration et le sens, une nouvelle façon de dénoncer sans tomber dans les travers d’un cadre préconstruit. Par son usage du ralenti Jean-Luc Godard découpe les mouvements, laisse le temps de voir au spectateur et le rééduque ainsi à l’image et surtout à la multitude d’images qui forment la vie. C’est d’ailleurs à travers des gros plans de visages en attente, rêvant, pensant, écoutant une parole hors champ, que la vie récupère toute sa consistance, impossible à déceler mais qui est pourtant bien réelle.  Les bruits ambiants inondent les dialogues tandis que la musique épique, quelquefois dissonante, nous introduit dans un mouvement incessant rappelant qu’il n’y a pas que la scène dont nous sommes témoins qui se joue mais une multitude d’autres scènes qui forment le paysage de la vie dans son entièreté.

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