Megadoc
Elliefilm Megadoc LLC

Les prises de bec entre l’acteur survolté et le réalisateur du Parrain sont la grande attraction de Megadoc, documentaire sur le tournage de Megalopolis.

A la Mostra de Venise, dans la section Venice Classics, le réalisateur Mike Figgis (Leaving Las Vegas, Time Code…) présente Megadoc, son making-of de Megalopolis, le projet fantasmé par Francis Ford Coppola pendant 40 ans et qu’il a fini par concrétiser l’année dernière. "Comment réalise-t-on un bon making-of d’un film de Francis ?" demande, en intro de son documentaire, Mike Figgis à Eleanor Coppola, épouse du réalisateur légendaire, décédée en 2024, à qui l’on doit l’un des plus grands making-of de l’histoire, Au cœur des ténèbres, consacré à Apocalypse Now. Figgis posera ensuite la question à George Lucas, qui a lui aussi filmé Coppola au travail dans Filmmaker, docu sur le tournage des Gens de la pluie, en 1969, quand les deux apprentis cinéastes barbus n’avaient pas encore révolutionné Hollywood. Le "film sur les coulisses d’un film de Coppola" est donc un sous-genre à part entière, et Figgis le sait.

De Filmmaker à Megadoc, Coppola a peut-être vieilli, mais il n’a pas beaucoup changé. Il parle toujours avec passion, fait part de ses doutes, n’est pas gêné d’être montré en mauvaise posture, de mauvais poil, dans une impasse créative ou financière. La caméra de Figgis est la "mouche sur le mur", comme on dit en anglais, chroniquant les différentes étapes de la production de Megalopolis, se glissant discrètement au sein des répétitions avec les comédiens, des discussions de Coppola avec ses producteurs et les différents départements artistiques, jusqu’aux échanges tendus du cinéaste avec son équipe des effets visuels, qu’il finira par mettre à la porte, engendrant par ricochet un article du Hollywood Reporter repris partout sur la planète et évoquant un tournage cataclysmique.

Megadoc
Utopia

Ce qu’on voit dans Megadoc démine les rumeurs d’un Coppola improvisant dans le brouillard, et entretient plutôt la légende de l’expérimentateur insatiable, funambule de génie déterminé à repousser les limites du cinéma plutôt que de se prélasser dans ses vignobles, doublé d’un flambeur ayant cassé sa tirelire pour accomplir l’un de ses fantasmes les plus fous. Les fans de Coppola les plus complétistes seront contents de découvrir des images d’un premier projet Megalopolis datant du début des années 2000, avec Robert De Niro et Uma Thurman lisant le scénario, et Ryan Gosling interprétant quelques scènes en Claudio (le rôle finalement tenu par Shia LaBeouf). Au fil du documentaire, on voit Figgis tâtonner, chercher l’axe de son film, il confesse d’ailleurs à un moment qu’il espère que Megalopolis vire vraiment à la catastrophe, histoire d’avoir quelque chose à raconter, parce que tous les grands making-of, dit-il, sont des récits de désastre.

Figgis a fini par faire, sans plan préétabli, un documentaire sur le rapport de Coppola aux acteurs, grâce à la complicité des comédiens de Megalopolis. Pas Adam Driver, qu’on voit à peine, car il n’aime pas être filmé quand il travaille. Ni Nathalie Emmanuel, car son agent a précisé à Figgis que l’actrice n’aime pas être filmée quand elle… mange (et les répétitions avec Coppola impliquent souvent de la nourriture). Mais Dustin Hoffman donne ici une interview sympathique, Jon Voight passe régulièrement une tête, l’air un peu ahuri, et Aubrey Plaza dynamite le tout grâce à son hilarante audition par Zoom et le bras de fer qu’elle a tenu à organiser contre Dustin Hoffman (on ne spoilera pas l’issue du combat). Et surtout, surtout, il y a l’indispensable Shia LaBeouf.

Megadoc
Utopia

On avait entendu dire qu’il y avait eu des tensions entre l’acteur et Coppola. Megadoc est la preuve par l’image que LaBeouf a effectivement passé ses journées à faire tourner son réalisateur en bourrique, le poussant dans ses retranchements avec ses questionnements incessants, contestant ses choix de mise en scène, proposant des idées que Coppola trouve absurdes, allant jusqu’à forcer la porte du Silverfish, le mythique camion-tour de contrôle du cinéaste, dans lequel celui-ci aime se réfugier. Sur son fauteuil de réalisateur, le maestro a du mal à garder son calme, rouspète, boude… LaBeouf fatigue tellement Coppola qu’il pense qu’il va se faire virer, on jurerait même qu’il a envie de se faire virer, comme Harvey Keitel sur Apocalypse Now (c’est LaBeouf lui-même qui cite cet exemple). Plutôt que de se prosterner du matin au soir aux pieds de Coppola, au prétexte que celui-ci serait un génie incontestable, LaBeouf préfère prendre le désir d’expérimentation du maître à la lettre. Et jouer les sales gosses, parce que c’est dans sa nature, mais aussi au nom de l’histoire du cinéma, car il sait que Marlon Brando lui aussi exaspérait Coppola, en débarquant aux Philippines avec des dizaines de kilos en trop et sans avoir lu le scénario d’Apocalypse Now… Au final, Megalopolis n’est pas Apocalypse Now, Megadoc n’est pas Au cœur des ténèbres, et Shia LaBeouf n’est pas Marlon Brando. Mais il y a quand même un happy end à la fin : Francis a fini par écrire à Shia un long mail où il lui dit qu’il l’aime. Et Shia a bien sûr tenu à lire le message face caméra.

Megadoc, de Mike Figgis, avec Francis Ford Coppola, Shia LaBeouf, Aubrey Plaza… Date de sortie inconnue.