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Pedro Almodovar commente ses scènes chocs

Almodovar commente ses scènes chocs

Avec Les Amants passagers, Pedro Almodóvar referme une parenthèse dramatique qui aura duré vingt ans pour renouer avec la comédie pure et la provoc de ses débuts. Le cinéaste espagnol, plus turbulent que jamais, en profite pour revisiter les scènes chocs d?une filmo qui n?en manque pas.<strong>Propos recueillis par Mathieu Carratier</strong>

Attache-moi ! : Le plongeur en plastique

Dans son bain, Marina (Victoria Abril) découvre les vertus insoupçonnées d?un jouet pour enfants.« Cette séquence, parfaitement innocente à mes yeux, est celle qui avait valu au film d?être classé X aux États-Unis. J?avais acheté ce jouet, un plongeur en plastique, alors que je tuais le temps dans un aéroport. Je comptais l?offrir à mon petit neveu mais, comme la plupart des cadeaux que j?achète, je l?ai finalement gardé pour moi. <em>(Rire.)</em> Alors qu?on s?apprêtait à tourner la scène dans laquelle Victoria Abril prend un bain en pensant à deux hommes ? joués par Francisco Rabal et Antonio Banderas ? qui lui ont chacun manifesté un désir très fort, je me suis dit que ce petit plongeur butant sur son sexe serait une parfaite métaphore de la libido masculine se heurtant à son intimité. Évidemment, les Américains se sont braqués... »

Les Amants passagers : l'orgie sous mescaline

Les stewards préparent un cocktail dans lequel ils ajoutent de la mescaline pour détendre les passagers, qui ne vont pas tarder à se jeter les uns sur les autres.« Je n?ai jamais provoqué pour provoquer, à quelques exceptions près. Je cherche juste à être le plus libre possible. La mescaline est une drogue emblématique qu?on prenait au milieu des années 80 à Madrid. On en mettait justement dans ce cocktail, l?Agua de Valencia ? du champagne mélangé avec une liqueur, du gin, de la vodka, du sirop de canne et du jus d?orange. Je connais ses effets aphrodisiaques lorsqu?elle est associée à cette boisson, et c?était pour moi une façon de rendre hommage à la liberté dont nous jouissions à cette époque en Espagne. Ce cocktail permet aux personnages de vivre la catharsis la plus joyeuse, la plus ludique qui soit. Au lieu de sombrer dans l?angoisse, ils célèbrent leur corps grâce à la sexualité, qui reste le plus beau cadeau qu?on a fait à l?être humain. »

Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier : la golden shower

Pepi suggère à Bom de se soulager sur Luci, qui a chaud et aurait « besoin d?un rafraîchissement ».« Cette scène a évidemment scandalisé pas mal de monde. J?avais répondu aux journalistes que, pour moi, il s?agissait juste d?un jeu entre filles. Ça n?avait rien de provoquant. Je voulais montrer cet acte comme une distraction ordinaire qui appartient au quotidien de ces femmes. Bon, j?ai réalisé depuis que ce n?est pas si répandu. <em>(Rire.)</em> <em>Pepi, Luci...</em> était un film punk dont l?objectif consistait à être le plus sale possible. Je l?ai tourné en 1979 pour 400 000 pesetas, c?est-à-dire rien. »

Matador : masturbation devant la télé

Torero déchu, Diego Montes (Nacho Martinez) se masturbe en regardant des films gore où des femmes sont découpées en morceaux.« J?étais moi-même dérangé par l?idée de cette scène d?ouverture, et je le suis encore plus avec le recul. Dans Matador, je voulais explorer un thème nouveau pour moi : la mort. Le héros ne peut plus exercer son métier mais ne saurait renoncer au plaisir de tuer. La femme se substitue alors au taureau. J?aime quand la première image annonce clairement la teneur de ce qui va suivre. Ici, je voulais qu?elle définisse le personnage de Diego Montes, cet homme qui regarde les pires films gore en se masturbant, qui prend son pied en voyant des femmes en train de mourir. En même temps, les extraits qui passent à la télé, puisés dans des films d?exploitation et des séries Z innommables, sont tellement outranciers qu?ils confèrent presque une dimension humoristique à cette scène dont Quentin Tarantino est très fan. »

Kika : la scène du viol

Pablo (Santiago Lajusticia), ex-acteur porno évadé de prison, se réfugie chez sa soeur Juana (Rossy de Palma). Après l?avoir bâillonnée, il viole Kika (Verónica Forqué), qui dormait à côté.« Kika est un personnage d?un optimisme forcené, presque délirant. Même quand elle est victime de cette agression, elle ne s?en départ pas et cherche à convaincre cet homme que ce qu?il fait est mal. Avec Juana, elle tente de trouver les arguments pour le persuader d?arrêter. Les féministes les plus enragées m?ont reproché de tourner le viol en dérision, mais mon intention était de montrer des femmes qui reprennent le contrôle dans la plus terrible des situations. Je reste convaincu qu?on peut rire de tout, y compris du nazisme, comme l?a prouvé Chaplin avec <em>Le Dictateur</em>. Je n?étais pas politiquementcorrect en 1993 et je ne le suis pas plus aujourd?hui. Si vous faites une comédie en vous demandant sans arrêt si vous allez offenser quelqu?un, autant laisser tomber. Il n?y a rien de plus paralysant. J?ai vraiment peur de passer pour un monstre dans votre article... Il faudrait rappeler aux gens qu?ils ont aussi beaucoup pleuré devant <em>Parle avec elle</em> ! »

Talons aiguilles : le cunnilingus acrobatique

Dans sa loge, après un spectacle, le travesti Letal (Miguel Bosé) demande à Rebeca (Victoria Abril) de l?aider à se changer. Il se jette alors sur elle pour pratiquer un cunnilingus... inattendu.« À l?origine, la scène ne devait pas se dérouler de cette façon. L?idée est née pendant les répétitions. Il y avait un tuyau en hauteur dans la pièce où on faisait les essais et j?ai suggéré à Victoria de s?y accrocher au moment où elle tente d?échapper aux avances du juge travesti, tout en disant à Miguel de dévorer ce qui lui passerait devant la bouche... J?ai trouvé ça trèsdrôle et j?ai réécrit le script en conséquence. Nous avons ensuite placé un tuyau dans le décor pour que Victoria puisse s?y agripper et reproduire ce qui s?était passé lors des répétitions. »

Avec Les Amants passagersPedro Almodóvar referme une parenthèse dramatique qui aura duré vingt ans pour renouer avec la comédie pure et la provoc de ses débuts. Le cinéaste espagnol, plus turbulent que jamais, en profite pour revisiter les scènes chocs d’une filmo qui n’en manque pas.Propos recueillis par Mathieu Carratier