Comment comprenez-vous l’intitulé de l’évènement dont vous êtes l'invité d'honneur : "Toute la mémoire du monde" ?Pour moi, il définit la Cinémathèque, dédiée à la mémoire des films classiques ! L’évènement en lui-même n’est qu’une pierre dans l’édifice parce qu’il y a des rétrospectives toute l’année, mais dans son ensemble, le travail de la Cinémathèque peut se résumer à cette appellation: Toute la mémoire du monde. Sans la Cinémathèque, la plupart de ces films seraient perdus. Les studios américains ne sont pas intéressés par leur héritage et laissent leurs propres films se détruire. Tandis que Langlois, Franju et les autres fondateurs de la Cinémathèque s’intéressaient à tous les films quelles que soient leur origine. Langlois disait: "il y a deux sortes de films, les bons et les mauvais, mais je ne sais pas faire la différence." Tout est arbitraire.Pourquoi avoir présenté Sorcerer (Le Convoi de la peur) ?C’est celui qui me définit le mieux. A l’époque, il représentait sans doute un échec dans ma carrière, mais je reste persuadé que c’est le meilleur film que j’ai jamais réalisé, dans le sens où c’est celui qui se rapproche le plus de ce que je voulais faire.Depuis combien de temps était-il invisible ?Sorcerer n’a jamais été véritablement invisible, mais il n’a été montré qu’avec parcimonie. La version présentée en France a été charcutée, complètement détruite par les distributeurs de l’époque. Et je ne l’ai appris que longtemps après. J’avais perdu le contact, et quand je m’en suis aperçu, au début des années 80, je les ai poursuivis en justice, en invoquant le "droit moral", qui dit que le réalisateur est l’auteur du film et que personne, pas même le financier ou le distributeur, n’a le droit de le détériorer, ce qu’ils ont fait. Ils ont été condamnés à me verser un dédommagement et à retirer leur version de la circulation. C’était un désastre. Donc j’ai rectifié le tir quand j’en ai eu la possibilité. Il ne restait que quelques copies 35mm de la bonne version, dont une que j’avais portée à la cinémathèque, mais elles se sont désintégrées avec le temps. Aujourd’hui, le film va ressortir à grande échelle. Paramount va le projeter en salle, Warner s’occupe de la sortie  DVD et VOD en avril, tandis qu’Universal a les droits télé.Comment s’est effectué la restauration ?Le négatif était intact et très bien conservé, grâce à Warner qui possède un établissement très performant pour la conservation des films. Ils sont particulièrement bien équipés pour le Blu ray. J’ai travaillé avec eux, mon étalonneur habituel et mon ingénieur du son. Nous sommes partis de mon montage original et en avons tiré la meilleure version possible en utilisant des technologies de pointe. J’ai travaillé quotidiennement sur l’image et le son pendant six mois, et le résultat correspond à ce que j’ai toujours eu envie de voir.C’est une vraie redécouverte, et il n’a pas vieilli.Non, parce que le jeu des acteurs n’était pas daté, non plus que les coiffures, ou les styles vestimentaires. Il est intemporel. C’est ainsi que j’ai conçu le film. Et le restaurer était comme de ressusciter Lazare d’entre les morts.Interview Gérard Delorme