Alors qu'elle approche sa mi-saison 5, Homeland confirme plus que jamais le cap de sa nouvelle orientation, amorcée la saison dernière. L'anti-24 est devenue une néo-24 avec ses forces et ses faiblesses.
"L'antidote à 24 heures chrono" : tels étaient les termes qu'employait le New Yorker dans sa critique de la première saison de Homeland en 2011. Alors que la série est à l'origine l'adaptation d'un format israélien, Hatufim, les comparaisons qui ont le plus rapidement surgi sont celles avec la série de Jack Bauer. En cause : la présence à leur générique de Howard Gordon, co-créateur de Homeland avec Alex Gansa et scénariste des saisons 3 et 4 de 24 heures chrono puis showrunner des saisons suivantes.
Face au thriller bourrin politique et décomplexé qu'était 24 heures chrono, Homeland abordait la question du terrorisme et de la sécurité sur un autre versant, plus humain et intime. Un constat qui fit le succès de la série, pelletée d'Emmys et Golden Globes à la clé, mais qui trouva ses limites dans une saison 3 morne où la formule gagnante commençait à tourner à vide. Exit Nicholas Brody, exit Abu Nazir : la saison 4 faisait repartir Homeland sur de nouvelles bases pour faire oublier ses errements. Pari réussi pour la série un an et demi plus tard, mais à quel prix ?
Un pur thriller politique
La saison 4, avec ses drones, ses prises d'otages et ses attaques spectaculaires, avait déjà redessiné les contours de la nouvelle Homeland en poussant le curseur vers l'action, l'espionnage et les intrigues de couloirs. De quoi tourner la page des trois premières saisons, marquées davantage par le sceau du drame humain et personnel pour replacer la série dans son contexte politique, comme pour suivre Carrie dans son processus de deuil en se replongeant entièrement dans son travail et avant tout son travail.
La saison 5, malgré le bond temporel de trois ans par rapport à la saison dernière, poursuit sur cette dynamique en faisant de Carrie un agent libre, délestée de son engagement envers la CIA, faisant d'elle une héroïne de plus en plus isolée et de plus en plus ciblée personnellement, à l'image de Jack Bauer. Elle doit désormais faire face non seulement à la menace qu'elle traque, mais également à celle qui vient de l'intérieur même de la CIA et qui cherche à l'éliminer. Avec ses menaces venues de partout, sa sous-intrigue de hackers des données de la CIA et ses mafieux russes désormais prêts à apporter leur grain de sel, Homeland multiplie les pistes et les arcs pour construire un thriller à plusieurs bandes où le danger existe et surgit de partout, comme en témoigne la prise en importance saison après saison d'un personnage comme l'énigmatique Dar Adal (F. Murray Abraham).
On est bien loin de l'époque où Carrie et son équipe se concentraient avant tout sur la traque personnelle d'Abu Nazir. Et c'est ce qui fait la force des deux dernières saisons, dont la robustesse des intrigues et des retournements de situation en font un thriller politique où rien n'est jamais écrit et où le danger guette à tout moment. Preuve en est avec le personnage de Peter Quinn (Rupert Friend), générateur de chaos à chacune de ses apparitions et dont le caractère s'est considérablement mis au diapason de la nouvelle identité de la série au point de lui aussi, sous certains aspects, se "jackbaueriser".
Le facteur humain mis en retrait
Les trois premières saisons de Homeland étaient essentiellement construites autour du binôme formé par Carrie et Brody ainsi que leur entourage respectif. La composante humaine et intime de la série y était prédominante en traitant de l'envers du décor de la lutte contre le terrorisme et de ceux qui la mènent. Il y avait Carrie Mathison, qui devait mener une carrière brillante en luttant pour vivre avec ses troubles bipolaires. Il y avait Saul Berenson qui devait gérer son mariage avec son épouse Mira.
Et puis il y avait Nicholas Brody, matrice des enjeux humains de la série et de son absence totale manichéisme. Un personnage dont on suivait le trauma de la captivité, mais aussi celui du retour à un monde qui a avancé sans lui pendant des années. Un homme qui n'arrive plus à aimer une femme persuadée de sa mort et qui avait déjà refait sa vie, qui n'arrive plus à élever sa funestement célèbre fille Dana qui a grandi sans repère, et qui n'arrive pas à accepter son nouveau statut de héros de la nation. En exposant le dilemme de Brody, qui avait découvert en captivité les atrocités commises par sa propre armée et qui avait fini par se laisser tenter par l'autre camp au point de vouloir tuer le président des États-Unis, Homeland s'était véritablement démarquée de 24 heures chrono en créant un monde non binaire, où le plus grand des héros pouvait être également sa plus grande menace.
Depuis, le monde de Homeland semble s'être un peu plus divisé en deux, avec ses camps bien identifiés. Sans dévoiler la grande révélation de l'épisode 4 de cette saison 5, diffusé dimanche dernier aux États-Unis, même la menace venant de l'intérieur est en réalité plus une menace de l'extérieur. Et les intrigues personnelles des héros passent désormais au second voire au troisième plan : Carrie est éloignée de sa fille et ses amourettes ne sont que des parenthèses, Saul est plus seul que jamais et les Brody ont disparu depuis longtemps du paysage. Si Homeland continue aujourd'hui à captiver, sa moelle épinière n'est plus la même.
Des polémiques qui en rappellent d'autres
Récemment, l'affaire des graffitis qualifiant Homeland de raciste ont remis le sujet de la représentation des pays arabes dans ces pays. Dans l'épisode 2 de la saison 5, on peut en effet voir les murs d'un camp de réfugiés ornés de tags sur lesquels on pouvait lire "Homeland est raciste" ou encore "Homeland est une blague et elle ne nous fait pas rire"'. Pour les besoins de la scène, le camp avait été créé dans un local abandonné dans la banlieue de Berlin, dans lesquels des street artists locaux avaient été invités à graffer des tags en arabe. Quelques jours plus tard, l'animateur Stephen Colbert rebondissait sur la polémique en soulignant le goût de la série pour les personnages musulmans qui s'avéraient au final être des terroristes ou des traîtres en puissance.
>>> Homeland est raciste : Showtime répond aux graffitis
Une polémique qui n'est pas une première pour la série depuis quelques mois puisqu'en mai 2014, la directrice d'Amnesty International au Royaume-Uni Kate Allen avait dénoncé la culture de la torture de la série en la comparant directement à 24 heures chrono : "Des séries comme 24 Heures et Homeland ont glorifié la torture pour toute une génération, mais il y a une énorme différence entre la représentation dramatique créée par les scénaristes et son utilisation réelle par des agents du gouvernement dans des salles de torture". L'accusation fréquemment adressée à 24 heures chrono n'épargnait donc pas Homeland, accusée de tomber dans les mêmes travers que son aînée.
Pour le meilleur comme pour le pire, Homeland semble donc décidée à marcher plus ou moins fidèlement sur les traces de 24 heures chrono, tout en conservant les qualités qui en ont fait la série qui nous tient en haleine depuis presque cinq ans. En prenant le risque énorme de se séparer d'une partie de ce qui en faisait son âme, Homeland est repartie sur des bases nouvelles, pour un constat qui s'avère pour l'instant payant. De quoi tenir neuf saisons, elle aussi ?
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