Des vivants
What's Up Films

Le réalisateur, Jean-Xavier de Lestrade, nous raconte la "mission" qui fut la sienne, de porter à l'écran l'histoire émouvante et douloureuse des otages ayant survécu aux attentats du Bataclan. Rencontre.

Les attentats du 13 novembre, c'était il y a 10 ans déjà. Jean-Xavier de Lestrade (Laetitia, Sambre) s’empare aujourd'hui de ce drame national pour créer une fiction adaptée du réel. Un drame en 8 épisodes, qui raconte l’après. Des Vivants narre l'histoire vraie de sept survivants du Bataclan, devenus amis parce qu'unis par le trauma et la volonté de témoigner. Rencontre avec un réalisateur en mission.

PREMÈRE : Il fallait laisser passer du temps avant d’aborder les attentats du 13 novembre par la fiction. Dix ans, c’est le temps nécessaire ?
JEAN-XAVIER DE LESTRADE : Je crois que dix ans, c’était le temps nécessaire pour de la fiction. Dix ans, c’est le bon moment. Il ne fallait pas attendre davantage non plus. Il y a le temps du deuil, du recueillement, de la justice. Et maintenant, on arrive sur le temps du souvenir. Il faut se rappeler de ce moment, il ne faut pas l’oublier. Là-dessus, la fiction a un rôle essentiel à jouer, en créant des souvenirs presque romanesques autour d’une tragédie qui a pris la forme d’un traumatisme national. Si la fiction arrive trop tôt, ce n’est pas supportable pour les victimes, pour leurs proches, qu’on mette en scène leur douleur. Mais aujourd’hui, après dix ans, on arrive à un moment où ça devient quelque chose de nécessaire. Il faut le faire. Il faut s’y coller.

On se sent investi d’une mission presque ?
Oui, il y a un peu de ça. J’avoue que je n’avais pas très envie, au départ, de faire ça. Je sortais de Sambre. Je venais de plonger dans la douleur des femmes victimes, un récit déjà très lourd. Repartir sur quelque chose de brutal, avec cette chape collective qui pèse au-dessus de ce drame, ce n’était pas du tout évident. Tout le monde est marqué individuellement par les attentats du 13 novembre. On a chacun notre propre histoire par rapport à ces événements, qui vient se superposer au récit collectif. Face à cette montagne, je ne me sentais pas de faire cette série au départ. Mais comme le dixième anniversaire arrivait, j’ai compris que c’était le moment de le faire. Comme une urgence. Il fallait faire quelque chose à présenter à un public large.

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Qui sont ces survivants du Bataclan, dont vous racontez l’impossible retour à une vie normale ?
Ils étaient onze dans ce couloir du Bataclan au départ. Mais ils sont sept à s’être retrouvés par la suite, pour échanger et former une sorte de famille. Ils se surnomment entre eux les “potages” — des otages devenus potes, pour se soutenir. Il fallait avoir l’accord de ces sept personnes pour faire la série. Sans ça, on ne l’aurait pas faite. Je crois qu’ils avaient envie de laisser un témoignage. Le dernier épisode s’appelle d’ailleurs “Témoigner”. Ça peut se faire à la barre d’un tribunal, mais aussi en se livrant à un scénariste, pour raconter sa propre histoire, mettre des mots sur ce qu’on a vécu, dire des choses qu’on n’a peut-être jamais dites à son psy. C’est une manière de graver dans le marbre et de laisser une trace. Il faut bien réaliser qu’ils sont les seuls à avoir été concrètement confrontés aux terroristes, à avoir eu un échange avec eux durant cette nuit d’horreur. Ils avaient une responsabilité de témoigner pour toutes les autres victimes quelque part. C’était donc, à mon sens, le meilleur angle pour parler des attentats. Le seul qui se justifiait.

Vous les avez interviewés pour recueillir leur vécu ?
Oui, nous les avons beaucoup vus, à plusieurs reprises, lors de séances de cinq ou six heures avec chacun d’entre eux. Et nous avons écrit les scripts à partir de leurs témoignages. Tout ce qui est écrit vient de leur récit. C’était essentiel pour restituer le réel. C’est le genre de série où il ne fallait pas jouer au malin, ni à l’apprenti sorcier de la dramaturgie sérielle. Surtout pas ! Il fallait arriver sur la pointe des pieds, avec beaucoup d’humilité. Passer leur récit au tamis pour tisser une histoire, mais surtout ne rien inventer. La vie se charge d’inventer des choses folles pour nous, au fond.

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Avec Des Vivants, vous êtes à la croisée des chemins entre fiction et documentaire ?
Complètement. On est à mi-chemin entre documentaire et fiction. Même dans la réalisation, je voulais filmer avec une approche presque documentaire, en laissant les comédiens assez libres, pour qu’on soit dans la plus grande des sincérités. L’erreur la plus grossière aurait été d’être dans une forme de posture, de fabrication de l’émotion, ou pire, de manipulation. On est vraiment dans une forme de transparence et de vérité totale. Même si leur vie à eux n’a rien de spectaculaire. Leur souffrance après les attentats est assez subtile, ce sont des mouvements intérieurs… mais ça ressemble à la vie, au fond.

Qu’ont pensé les vrais “potages” de la série ?
Ils ont été très émus, bouleversés. Ils ont même beaucoup ri parce qu’ils ont vu à l’écran des moments très personnels. Ils étaient heureux de se voir ainsi. Ils ont trouvé ça proche de ce qu’ils avaient vécu, notamment les séquences dans le couloir avec les terroristes.

Des Vivants, à voir dès maintenant en intégralité sur France.tv ou en prime time sur France 2 à partir du lundi 3 novembre à raison de deux épisodes par semaine.


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