"Je me dois d’être à la hauteur de Jean-Luc." Pour la première fois, Sophie Davant revient en détail sur les circonstances qui l’ont amenée à reprendre la suite de Delarue. Un héritage, professionnel et moral, qu’elle revendique pleinement. Entretien par Télé 7 jours.
À la mort de Jean-Luc Delarue, vous avez déclaré être son héritière. Dans quelle mesure ?Quand j’ai présenté en direct l’émission-hommage du 28 août, il me tenait à cœur d’être à la hauteur de sa mémoire, vis-à-vis des téléspectateurs comme des équipes de Réservoir Prod, présentes en coulisses. C’était très émouvant. Ce soir-là, je me suis reconnu une filiation avec lui. J’ai senti que j’étais son héritière professionnelle. Comme s’il m’avait passé le relais et me disait : « Tu es capable, tu l’as prouvé. Maintenant c’est sur toi que ça repose. Vas-y ! »Quels sont vos points communs ?La sincérité vis-à-vis des témoins, la qualité d’écoute et d’empathie, la capacité à savoir doser l’émotion et l’humour.Comment s’est déroulée la passation lorsque vous l’avez remplacé aux commandes de Toute une histoire?Nous nous connaissions. J’avais présenté une émission qu’il produisait sur les 25 ans du Loto. Je l’avais croisé sur un Téléthon et nous étions vus plusieurs fois sur des projets. Son remplacement s’est fait dans l’urgence. Je n’avais jamais caché que le créneau de l’intime et de l’humain m’intéressait. Mais, avec Mireille Dumas d’un côté et Jean-Luc de l’autre, j’avais peu d’espoir de percer. Quand il y a eu cette crise (voir encadré), Jean-Luc et la direction de France 2 sont rapidement tombés d’accord sur mon nom. J’ai enregistré une salve d’émissions dès le lendemain. Je n’ai pas eu le temps de me poser de questions.Jean-Luc vous avait-il coachée ?Il est venu le premier jour. Il m’a présentée au public puis m’a donné quelques conseils : « Less is more : moins tu en feras, mieux ce sera. Consacre toute ton attention à l’écoute, laisse parler les silences. » Il est resté en régie. À l’époque, il était très stressé. Il me parlait tellement vite dans l’oreillette que je ne comprenais rien ! Par la suite, Stéphanie, sa productrice et proche collaboratrice, a pris le relais. Je ne l’ai plus revu sur le plateau.Ressentiez-vous une grosse pression ?Pas quand j’ai enregistré les premières émissions. En revanche, je n’ai pas fermé l’œil la veille des premières diffusions ! Je me disais : « Tu remplaces Jean-Luc Delarue. Imagine à quel point les gens vont t’attendre au tournant. Si les audiences sont mauvaises, ça va être terrible ! » Peu de professionnels auraient misé un kopeck sur le fait que ça marche aussi bien après lui. Beaucoup ont été surpris que les audiences restent aussi bonnes.Comment a réagi Jean-Luc ? On évoquait une rivalité entre vous.Il a fait comme il a pu. Il était heureux en tant que producteur mais, à titre personnel, ça a dû être super dur. Je me mets à sa place.Il avait une très forte emprise sur ses salariés. Le ressentez-vous encore aujourd’hui ?Énormément ! Il avait un charisme et une présence incroyables. Toutes les filles étaient complètement séduites. C’était une sorte de « gourou » pour tous ses collaborateurs. Il les galvanisait.Un héritage est parfois lourd à porter. Comment rester soi-même ?Personne ne m’a demandé de faire du Delarue. Il a eu l’extrême élégance de me laisser aux commandes, tout en gardant un œil sur la production et le choix des sujets. J’ai été bluffée par son comportement. Ce n’est pas évident de savoir s’effacer. Aussi, je ne subis pas le poids de son héritage. Au contraire, c’est plutôt galvanisant. Ce n’est pas rien de savoir écouter les gens et d’être sincère. Je me dois d’être à la hauteur de ce que Jean-Luc a créé le premier : donner la parole aux téléspectateurs en faisant de l’émission un lieu intime où l’on brise souvent des tabous, tout en restant élégant.Avez-vous découvert un autre homme en privé ?Je ne l’ai pas beaucoup côtoyé. Il s’était vraiment isolé pour mener son combat. Six mois après avoir quitté l’antenne, il m’a invitée au restaurant. Jusque-là, j’avais eu affaire au grand professionnel de la télé, au mec à qui tout réussit. J’ai découvert un être humain super fragile, attendrissant, profond et intelligent. Il s’est beaucoup confié à moi, sur ses blessures et ses angoisses. J’ai été très flattée qu’il se sente en confiance.Trouvez-vous, comme lui, qu’il est difficile de rester imperméable à certains témoignages, à la souffrance des autres ?À l’époque où il le disait, je trouvais qu’il exagérait. Mais quand on le fait, comme lui, avec sincérité, quand on s’intéresse vraiment aux gens, on ne peut pas rester insensible. Certains thèmes résonnent en vous et vous poursuivent. Pour thérapie, je pratique la natation. Je m’oblige à cette heure au fond de la piscine, seule avec moi-même, où je suis vraiment coupée de tout. C’est une sorte de méditation.Pensez-vous que Jean-Luc Delarue n’a pas su se protéger ?Il a mis longtemps avant de regarder la vérité en face. Il s’est beaucoup perdu dans ses addictions. Une sorte de fuite… Mais, depuis, il avait accompli un très long chemin. Je ne l’ai pas vu durant sa maladie. Je communiquais par textos pour lui dire que je pensais à lui, que j’étais là. Ses proches m’ont raconté qu’il était totalement bluffant les derniers mois. Il a affronté sa maladie avec lucidité et courage. Delarue a payé cher sa réussite. Jusque dans sa vie privée.Pensez-vous, comme l’a déclaré Christophe Dechavanne, que « la célébrité est une catastrophe » ?Non. Je me sens normale. J’ai eu la chance d’être entourée de professionnels plus âgés, comme Laurent Cabrol et William Leymergie qui, dès le début, m’ont appris à prendre du recul. J’ai perdu ma mère à 20 ans. Etre confrontée très jeune à la douleur permet de faire la part des choses. Je voulais une vie équilibrée, avec une famille, des enfants, leur consacrer du temps, ne pas être happée par ce métier. Cela m’a permis de garder un rapport sain à la célébrité.Que pensez-vous des polémiques autour de la succession de Jean-Luc Delarue ?Ça m’écoeure et ça me choque ! Je ne cherche pas à savoir qui a tort, qui a raison. Ça me fait de la peine pour les gens qui ont sincèrement aimé Jean-Luc. C’est pitoyable et peu élégant.Interview Emmanuelle Touraine du magazine Télé 7 jours
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