Première
par Gérard Delorme
Dans ce troisième et stupéfiant opus depuis son retour à la réalisation après une absence de près de 17 ans, le cinéaste polonais cumule la virtuosite d'un vieux maître avec le culot et l'énergie d'un jeune punk. L'idée consiste à raconter 11 minutes dans la vie d'un échantillon varié de résidents de Varsovie : une actrice qui passe une audition, son mari jaloux qui cherche à la prévenir que le champagne qu'ils ont bu ensemble était chargé de somnifères, un livreur de cocaïne qui abuse de sa propre marchandise, un groupe de bonnes soeurs, un marchand ambulant de hot dogs, une équipe d'ambulanciers en route pour l'hôpital, un peintre témoin d'accidents bizarres... Ils n'ont rien à voir les uns avec les autres, mais le hasard va les rassembler dans des circonstances fracassantes. Entre le film expérimental et l'exercice de style, 11 minutes relève de la pure mécanique cinématographique, magistralement agencée. La nécessité économique a stimulé l'ingéniosité pour varier les textures selon les besoins: iphone, ordinateur portable, caméra de surveillance font partie de la palette du cinéaste autant que les effets numériques. Et hormis la récurrence sur plusieurs supports d'une tache dans le ciel, qui pose des questions conceptuelles (pixel mort? tache d'encre? accident cosmique?), il ne faut pas trop chercher de message dans ce trip d'un nihlisme assumé. On peut y voir une célébration de la funeste beauté du hasard, du chaos, et des connexions universelles dont on a parfois l'intuition lorsque la dopamine libérée ouvre les portes de la perception. Le film produit le même effet par la seule force des images, de leur mouvement et des stridences sonores qui les accompagnent.