-
Dans un asile du sud-ouest de la Chine, le quotidien d’une cinquantaine de "patients" vivant dans des conditions spartiates. Pour son documentaire le plus "wisemanien", Wang Bing ("Les Trois Sœurs du Yunnan") s’est immergé de manière invisible dans une institution psychiatrique aux airs de prison. Au prix d’un délicat travail de mise en confiance, il est parvenu à faire oublier sa caméra aux occupants des lieux, en l’occurrence à des malheureux dont on ne saura jamais s’ils sont vraiment malades ou simplement dérangeants pour le pouvoir local, voire pour leurs familles, qui viennent leur rendre visite avec un sentiment de gêne évident. Totalement désinhibés, les "fous" de Bing traînent comme ils peuvent leur désarroi dû à la promiscuité, à l’enfermement et à l’absorption de médicaments. Certains urinent à même le sol ou les murs des chambres communes, d’autres font en courant le tour de la balade circulaire grillagée, seule ouverture vers l’extérieur mise à leur disposition. En plans fixes ou avec une caméra à la ceinture (moyen pratique pour coller aux plus excités), Bing enregistre, sans commentaires ni musique, parfois à la limite de l’intrusion, les accrocs, les incongruités, les moments de tendresse et de rire qui surviennent dans cet univers carcéral d’où étrangement la violence est exclue. Comme si les "patients", assommés de propagande et de cachets, convaincus de leur inutilité, s’étaient résignés. Une séquence résume à elle seule l‘ambiguïté de l’enfermement. Il s’agit du moment où Bing suit un malade qui profite d’une sortie autorisée pour aller voir ses parents. Une fois chez eux, il se heurte à l’animosité de son père, aux attentions maladroites de sa mère, à sa propre incapacité à communiquer, à ses petites manies qui tournent à l’obsession et à la logique économique qui préside à l’éloignement d’une personne à charge, comme lui. N’en pouvant plus, il quitte le domicile – ou plutôt le taudis – familial et va marcher pendant des heures comme il le ferait à l’asile pour évacuer son trop-plein d’angoisse. La durée titanesque d’"À la folie" trouve sa légitimité dans ce genre de séquence, où Bing prend le temps de cerner ses sujets pour leur donner une visibilité et, en quelque sorte, les faire exister aux yeux d’un monde qui les a symboliquement enterrés.
Toutes les critiques de A la folie
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
-
Immergé dans ces images, pris au piège, le spectateur vit une expérience qui fascine autant qu'elle terrasse. A la folie parle évidemment d'aliénation et dessine en creux le visage de la Chine contemporaine. Un visage sombre et flippant.
-
Le vaste tableau que le réalisateur déploie de cette nef des fous dérivante et immobile est à la fois fascinant par les détails qu’il parvient à faire émerger et la profonde perspective d’ensemble se dessinant de proche en proche.
-
A aucun moment le désir de décrocher n’est venu, ni ne viendra.
-
L'impression sordide qui se dégage de cet établissement laisse le spectateur assommé devant tant de misère humaine concentrée entre des grilles et des murs infranchissables.
-
Ce documentaire de Wang Bing filme ceux que la société ne voient pas : les fantômes d'un hôpital psychiatrique aux allures post-apocalyptiques et, sur une durée justifiée par l'immersion, obtient la même sidération que "Titicut Follies" (Frederick Wiseman, 1967) en son temps.
-
Les images sont crues, souvent éprouvantes (...) Mais en observant les internés dans leurs moindres gestes, jusqu'aux plus intimes, Wang Bing restitue à ces êtres sans avenir leur individualité niée par le système. Leur humanité.
-
Le génial Wang fait reposer sa mise en scène sur les perspectives, les lignes de fuite créées par son décor naturel qui toutes aboutissent à un seul point : un mur. Et puis il use avec maestria d’un des outils les plus naturels du cinéma : sa capacité à créer de l’empathie dès qu’on fixe plus d’une minute un être humain.
-
Plus que jamais ici, filmer la folie revient à révéler l’envers du décor de la société qui les exclut ou dont ils s’excluent eux-mêmes.
-
Avec patience, le regard du cinéaste remplace l’image dominante d’une Chine économiquement triomphante par celle de ses oubliés, et redonne progressivement figure humaine à ces formes émergeant sous leur linceul.
-
"A la folie" dépasse ainsi le pur témoignage – même s'il en a aussi la force - pour nous emmener dans un au-delà de la raison où subsiste étonnamment une chaleur, une tendresse insoupçonnées : les traces ultimes d'une humanité mise à rude épreuve dans cet établissement où des hommes et des femmes sont internés pour des raisons parfois injustifiées
-
Un documentaire marquant soutenu par une approche humaine de ces hommes mis au ban de la société. À la folie s’avère paradoxalement être une œuvre rendue difficile d’accès par une mise en forme et des partis pris de réalisation susceptibles d’en détourner le spectateur.
-
Ce très long voyage en terre de folie est une expérience éprouvante que bien peu auront envie d’entreprendre. Wang Bing signe cependant un film qui parle de lui-même : désœuvrement, faim, promiscuité, abandon, nudité, quête désespérée et dérangeante d’une tendresse terriblement absente