Première
par Vanina Arrighi de Casanova
Jude est américain, Mina italienne. Ils tombent follement amoureux, se marient, ont un enfant. Puis tout bascule. Retranchée dans leur appartement, Mina refuse que son bébé soit contaminé par le monde dont elle le protège obstinément. Quitte à mettre la vie du petit en danger. Dans la galerie de portraits des mères obsessionnelles, Alba Rohrwacher vient de s’octroyer une place bien à part : le personnage qu’elle compose est en effet un monstre d’entêtement et de détermination d’autant plus déroutant qu’elle ne s’exprime que par des murmures. Une tonalité en accord avec l’image de "Hungry Hearts", drame sentimental délicat qui glisse à pas feutré vers l’horreur. Le précédent film de Saverio Costanzo, "La Solitude des nombres premiers", était virtuose, tournoyant, parfois boursouflé. Ici, dès la toute première séquence – la meilleure scène de coup de foudre qu’on ait jamais vue –, le décor, exigu et anxiogène, impose une autre ambiance et préfigure la sensation d’enfermement qui parcourt le film. La mise en scène, resserrée sur les visages et sur les corps, eux-mêmes confinés dans des espaces trop petits, accompagne l’étouffement de ce couple et l’aliénation progressive de la mère obsédée par le bien-être de son enfant. Refusant l’alimentation conseillée pour un bébé et le moindre avis médical, ne jurant que par son instinct maternel, elle se replie dans un déni dangereux qui conduit le père, pourtant incroyablement compréhensif, à prendre des mesures. Le trouble qui s’installe dans le couple, le conflit larvé et la méfiance grandissante construisent peu à peu une tension finalement insoutenable, qui conduit à une résolution radicale, à la fois inattendue et inéluctable. Adam Driver et Alba Rohrwacher, qui dansent ce ballet beau et macabre avec une justesse et une douceur étonnantes, emmènent le film vers de nouveaux rivages, très éloignés du flirt giallo de "La Solitude."