- Fluctuat
Sarajevo. Aujourd'hui le nom sonne comme une tragédie, celle de la guerre avec son lot d'atrocités sur fond d'ONU, de résolutions et de mouvements occidentaux dégingandés Une irréalité, une image, un chromo. Surfant entre documentaire et fiction, François Lunel ni moralisateur, ni donneur de leçons, pose la seule juste question : que faire pendant la guerre ?
Encerclée par les combats, la ville survit. Les habitants bravent le danger pour aller voir un parent à l'autre bout de la ville, chercher des cigarettes, de l'essence, de la nourriture. Tandis que les balles fusent, une troupe d'acteurs choisit de continuer son travail. De notre avis d'Occidental repu de spectacles en tous genres, on se dit tout d'abord que l'entreprise a toutes les chances d'être condescendante et complaisante. Cela vaut-il la peine de se donner tout ce mal pour aboutir à du théâtre médiocre ? A dire vrai peu importe.Le film s'ouvre sur une représentation. Sur scène, nous suivons les acteurs. La scène frôle l'emphase et pourtant le ton est juste. Tout à côté de leurs personnages, les comédiens jouent davantage qu'une simple pièce. Résistants, leur acte est avant tout politique : une volonté d'avoir prise sur le monde, moins que celle d'échapper à l'horrible réalité qui les entoure. Ici tout ce qui existe est de leur fait, créé pour les spectateurs réfugiés dans la salle. C'est une réponse à l'absurdité, à la tragédie des champs de bataille. Au milieu d'un no man's land défiguré par les impacts de balles, le théâtre abrite toujours une représentation. Zan et Senka jouent encore, malgré les coupures de courant, un public de plus en plus clairsemé, des incertitudes et des doutes de plus en plus présents. Les mots résonnent comme une réponse au bruit des kalachnikovs. Les acteurs échangent plus que des répliques, toujours comme animés de cette impression que c'est peut-être la dernière fois qu'ils offrent ces paroles. Sans cesse présente, la lutte pour la fragile existence du spectacle.Dehors, la vie continue, les hommes en treillis circulent dans la ville, le couvre-feu, et toujours et encore le bruit de balles. La vie de couple. Les acteurs mènent leurs amours tant bien que mal. Zan voit son amie, recluse dans son appartement, s'échapper avec inconscience. Senka voit son amour devenu soldat. Il part au front comme on va au travail risquant toujours de ne pas revenir. La comédienne bouleversée suspend alors son geste et interroge : Pourquoi faire du théâtre pendant la guerre ? Pourquoi amuser la galerie ? Que font-ils là ces spectateurs ? N'est-ce pas être lâche ou paresseux que de jouer la comédie quand d'autres vont mourir la fleur au fusil ?Avec sobriété, le réalisateur pose une question cruciale : Comment se comporter quand tombent les obus ? Comment assumer sa vie, ses actes, pouvoir continuer à se regarder dans la glace ? Qui devient-on ? Quel est le prix à payer pour rester soi-même ? L'identité individuelle prend alors toute la place. Le couple et la vie sociale ne résistent que mal à de telles questions. Ainsi le réalisateur dépasse le contexte de cette guerre bosniaque en nous offrant avant tout une réflexion sur une dimension humaine. Véritable catharsis, il crée les images qui agissent comme un contre-point aux reportages larmoyants et condescendants, comme pour exacerber sentiments et questionnements. Ainsi Alen Camdzic, l'un des comédiens déclare : « Ce personnage qu'on m'a proposé d'interpréter dans le film, ressemblait vraiment à ce que j'étais pendant la guerre, à ce soldat qui partait au front en pleine nuit. Alors, je me suis dit que le jouer serait une façon de le faire disparaître, d'en finir avec cette période terrible. Oui, jouer dans ce film a été l'occasion d'enterrer le militaire que j'étais ». De même, un autre avoue qu'il lui a « donné l'occasion de mieux comprendre son vécu pendant la guerre, de mieux l'analyser ».Jours Tranquilles à Sarajevo est ainsi un portrait touchant de la résistance morale et physique à la barbarie. A voir absolument pour mieux s'interroger sur sa place dans un monde en guerre.Jours tranquilles à Sarajevo
Réalisé par François Lunel
Film français (1996). Drame. Durée : 1h 20mn.
Avec Vanesa Glodjo, Admir Glamocak, Alen Camdzic Plus...
Date de sortie : 26 Mars 2003
- Une Présentation sur le site de l'Acid.
Jours tranquilles a sarajevo