Première
par Sylvestre Picard
Dès son affiche, l'objet La Grande muraille (le film, pas l'attraction touristique) paraît avoir déjà tout dit : en associant Matt Damon, star occidentale, et mythologie chinoise, le film veut être le rouleau compresseur marketing ultime, capable d'être vendu dans le maximum de pays avec le minimum d'aspérités. Mais à l'ère de la culture globalisée, les termes "occidentaux" et "orientaux" expriment-ils une réalité ? La Grande muraille veut prendre la suite du succès énorme de Warcraft - Le Commencement en Chine (où il a raflé 220 millions de dollars, soit 50% de ses recettes mondiales, cinq fois plus que ses recettes aux Etats-unis). Des énormes blockbusters de fantasy distribués par Universal, produits par Legendary Pictures. Voilà, donc, l'objet La Grande muraille, ce qui nous renseigne peu sur sa qualité cinématographique.
Nous sommes prévenus dès le texte de présentation : La Grande muraille se situe dans un Moyen-âge fantasmé, légendaire, et il ne faudra pas chercher à l'écran une quelconque parabole politique (le film, co-produit par China Film Group, le plus important groupe cinéma chinois, possède l'aval du gouvernement). Le guerrier saxon William (Matt Damon) arrive à pied par la Chine avec son camarade Tovar (Pedro Pascal de la série Narcos) : ils cherchent à dérober le secret de la poudre explosive. Ils se heurtent à la Grande muraille, gardée par l'immense armée de l'Ordre Sans Nom qui protège l'Empire d'une terrible menace. Tous les soixante ans depuis un millénaire, une horde d'aliens (surnommés "Tao Tei") surgit d'une météore pour ravager les terres environnantes. William et Tovar vont combattre aux côtés des Chinois contre ces aliens. Si les scènes d'action amusantes basées sur la notion de vertige évoquent plus les chorégraphies monumentales, un brin pompeuses, de Zhang Yimou pour l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008, le souffle épique du réalisateur semble aussi se heurter aux petites (enfin, tout est relatif vu l'ampleur du budget) dimensions du film : il y introduit toutefois son goût pour les mouvements de foule aux couleurs vives et contrastées (souvenir de Hero), d'une part par les soldats de l'Ordre Sans Nom, vêtus d'armures bleues, rouges ou jaunes suivant leur spécialité ; de l'autre par une scène finale qui se déroule dans une tour ornée de vitraux multicolores et qui joue joliment sur les reflets lumineux.
Si La Grande muraille souffre bien d'un défaut, c'est d'un problème de longueur : le film est curieusement resserré, ramassé. Sa durée réduite (1h44) lui donne plus des allures de grosse série B que de fresque épique, et empêche de bien donner toute la mesure de la menace que doivent affronter nos héros. C'est ainsi qu'il faut apprécier La Grande muraille. Comme une vraie grosse série B où Matt, Pedro (excellent en sidekick goguenard), Jing Tian (prochainement dans Kong : Skull Island et Pacific Rim : Uprising, autres productions Legendary) et le vétéran Andy Lau rétament des bestioles en numérique -l'équivalent cinéma des Zergs de StarCraft- évacuant donc tout sous-texte politique. Avec des ennemis dénués de tout trait humain (équivalent de grosses abeilles méchantes, les Tao Tei ne sont pas la caricature d'une culture quelconque), pas de polémique possible. Histoire de nous dire qu'il s'agit simplement de débrancher son cerveau et d'apprécier le spectacle qui nous est offert. Ce n'est pas une si mauvaise idée que ça.