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Le double territoire du nouveau film de Mikhaël Hers (Amanda…) s’incarne d’emblée dans un plan magnifiquement expressif : le visage d’une jeune fille se superpose à un plan du métro parisien sur lequel clignotent des loupiottes comme autant de destinations vers un inconnu forcément prometteur. Paris. Les années 80. Deux boussoles, deux fantasmes. D’un côté une ville-cinéma usée jusqu’à l’os, de l’autre une époque pas si lointaine, extirpée des limbes pour ne garder à priori que la beauté sauvage et vaguement extatique (elle a, en effet, débuté avec l’élection de Mitterrand et ses lendemains enfin chantants). On redécouvrait récemment en copies neuves l’électrique et prophétique Neige (1981) de Jean-Henri Roger et Juliet Berto, formidable film d’aventures interlopes en plein Pigalle, où la lumière des néons poétisait la tristesse sans jamais la trahir. Depuis nos années 2020, Hers ne peut que se tenir à distance. Le politique est tout au plus une archive désuète montrant une jeunesse désireuse d’y croire. Ses passagers de la nuit sont en périphérie du vaste monde. Depuis les larges fenêtres de l’appartement d’Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), il y a des tours. Le Paris Nouvelle vague n’est certes pas très loin mais n’existe que comme citation (cf. Le cinéma le Grand Action où les héros, faute de Birdy se retrouvent devant Les Nuits de la pleine lune) ou lieu hanté (le fantôme de Rivette croisé dans le métro). La magie de ce film-là tient tout entière dans cette façon presque indicible de faire fusionner ses personnages avec le cadre dans lequel ils s’inscrivent. Les différentes textures de l’image, témoins de greffes éparses (passé retrouvé, présent re-décoré), permettent d’inscrire le récit dans un moment fragile, hybride, hors du temps, presque transitoire. Et de fait Elisabeth est elle-même à un croisement. Fraîchement divorcée, elle s’occupe de ses deux ados qui forcément lui échappent et s’accroche à une jeune SDF (merveilleuse Noée Abita) arrivée presque par hasard. Dans cet entre-deux, la ville mais ne promet rien. Elisabeth travaille la nuit au standard d’une radio pour le compte d’une animatrice à la voix suave (Emmanuelle Béart) dépositaire de sa propre solitude et celles des autres. Seule donc mais jamais tout à fait. Les Passagers de la nuit, est un film merveilleux, dont le ré-enchantement qu’il promet n’a rien d’illusoire puisque tous ici veulent y croire.