Il n’a jamais été aussi juste, craquant et attachant que dans #Jesuislà d'Eric Lartigau, tout juste disponible en VOD. Rencontre
Cela faisait longtemps qu’on ne vous avait pas vu en premier rôle chez un autre. Pour quelle raison ?
Alain Chabat : Ce n’est pas calculé. C’est souvent une question de timing. J’ai régulièrement des propositions mais - comme j’ai la chance de pouvoir me le permettre - il faut que le projet me plaise évidemment, me parle au moment précis où on me le propose et que les réalisateurs et les partenaires m’emballent. Je dirai que, pour moi, la façon de faire le film est aussi importante que le sujet et le rôle. Et ce depuis toujours. J’ai refusé plein de choses, y compris des scénarios que je trouvais hyper bien écrits, car je pensais que j’allais être malheureux au bout d’une semaine. Dans le cas de #Jesuislà, Eric (Lartigau) m’a d’abord simplement dit qu’il écrivait quelque chose sans plus de précision. Et puis un jour, il est venu avec le script sans m’en dire plus et me l’a laissé.
Comment avez-vous réagi ?
Je me suis souvenu qu’Eric m’avait vaguement parlé du sujet : un homme qui correspond avec une Coréenne sur Instagram décide un jour de passer de l’autre côté du miroir en allant la retrouver. Je l’ai lu d’une traite, embarqué comme dans un page- turner. Alors qu’honnêtement, j’avais peur de m’ennuyer car ce film est fait de toutes petites choses. Or c’est précisément cette délicatesse qui m’a emporté. Je me suis aussi souvenu de la manière dont Eric avait transformé et amélioré le scénario de Prête- moi ta main en s’en emparant. Et j’étais sûr, le connaissant un peu, qu’il avait une raison particulière de faire ce film. Je ne l’avais pas découverte en lisant ce scénario mais j’étais sûr de la comprendre plus tard. Et puis, Eric a vraiment un talent particulier dans le choix de ses comédiens, adultes comme enfants. Cette alchimie le passionne et il réussit son coup à chaque fois, #Jesuislà le confirme encore.
Quel plaisir prenez- vous à jouer devant la caméra des autres ?
Le fait de ne pouvoir penser qu’à jouer. Mais pour cela, j’ai besoin d’être dans les mains de quelqu’un qui a un point de vue, même si je ne comprends pas tout. C’est le fil rouge de tout ce que j’ai pu accepter, d’Agnès Jaoui à Gondry en passant par Quentin Dupieux. Je pars toujours du principe que si ces réalisateurs me demandent de jouer telle ou telle partition, c’est ce qu’ils m’en pensent capable. Et je sais aussi que je trouverai chez eux quelque chose en plus de ce que je vois écrit dans leurs scénarios. C’est une question de confiance et je me mets dès lors à leur service.
C’est un métier dont vous avez rêvé ?
Pas du tout. Moi, j’avais envie de faire de la bande dessins animé et de l’animation. C’est avec Les Nuls qu’on s’est mis à jouer nos propres conneries et que petit à petit, j’ai commencé à trouver un plaisir là- dedans
A quel moment précisément ?
Grâce à Bruno Carette qui un jour m’a fait switcher. On s’apprêtait à jouer un sketch et je lui assurais qu’il n’y avait pas 50 manières de le faire pour que ce soit efficace et choper un rire. Lui m’a expliqué qu’au contraire, il y avait plein de manière de le faire. Et il a commencé à me montrer des pistes et des variations que je n’avais pas du tout imaginé. Il m’a ouvert le regard vers tout un tas de terrains de jeu possibles là où je ne voyais qu’un instrument d’efficacité. Tout cela, je le dois à Bruno. Ne serait- ce qu’en le regardant jouer. A chaque fois ou presque, il explorait une voie à laquelle je n’avais pas pensé et qui renforçait la scène et le gag. De même, lors des sketchs qu’il avait écrits et où il nous dirigeait, il exigeait de la retenue, de ne surtout pas jouer la blague, de rester très sérieux. Au départ, je ne comprenais ou en tout cas je doutais car j’avais peur que personne ne se marre. Sauf qu’en voyant le produit fini, j’ai compris qu’il avait raison et que c’est par le fait qu’il n’y ait pas de gag, ni de chute que le sketch devenait marrant.
Quand vous incarnez votre premier grand rôle au cinéma dans La Cité de la peur, entouré par vos camarades Chantal Lauby et Dominique Farrugia, est-ce que votre manière de jouer change par rapport aux sketchs télé ?
Honnêtement, non. Je suis exactement dans le même état d’esprit que quand je jouais des sketchs. Le format ne changeait rien à cette obsession de vouloir rendre le tout le plus lisible et le plus marrant. Donc sur ce film, je ne me concentre pas sur mon jeu. Je pense surtout en termes de mise en scène : est-ce qu’on sera mieux en plan large ou en plan serré sur cette scène ? Est-ce qu’il vaut mieux passer par un plan séquence ? Idem quand on regarde les premiers rushes avec notre réalisateur Alain Berberian. C’était là mon obsession, pas la manière de jouer
Et après Les Nuls, on vous retrouve dans un autre rôle marquant et ce avec un registre de comédie différent, dans Gazon maudit de Josiane Balasko…
Josiane m’avait expliqué le pitch de départ : une femme qui quitte son mari pour une femme, provoquant des secousses dans leur couple tout en me précisant qu’elle l’avait proposé à d’autres gens qui ne le sentaient pas. Je lis son scénario et ce qui m’épate, c’est que dès la page 5, cet événement- là arrive. Et qu’à partir de là, tout s’enchaîne sans le moindre temps mort. J’étais donc emballé mais je lui ai demandé si elle pensait vraiment que je pourrais tenir ce rôle. Et c’est elle qui m’a libéré en m’assurant que si elle me le demandait, c’est qu’elle me pensait capable de le faire. De lui faire confiance là- dessus. Josiane m’a permis de régler ce problème de légitimité ou d’imposture qu’on a tous
Quand, un peu plus tard, on vous retrouve aussi dans un registre plus dramatique avec Le Cousin d’Alain Corneau au côtés de Patrick Timsit, c’était une volonté de varier les genres et d’équilibrer les choses pour ne pas vous faire enfermer ?
Non, pas du tout. C’était vraiment l’enthousiasme de Corneau. Alors qu’avec Patrick, on n’arrêtait pas de lui demander s’il était sûr de ne pas faire une connerie en nous prenant tous les deux ! Mais il nous expliquait que c’était précisément notre duo qui l’intéressait car ni Patrick ni moi n’avions déjà joué dans des polars, ni interprété des flics ou des gangsters. Et puis c’était Corneau. Comment refuser ? Je ne peux pas dire que je trouve ma prestation fantastique mais qu’importe, bosser avec lui reste un souvenir incroyable. Je n’ai donc pas choisi de faire ce film pour m’exprimer dans un registre dramatique. J’aurai plutôt la démarche inverse : ne faire que de la comédie. Je n’ai pas cette obsession de rôles plus graves qui me vaudraient éventuellement plus de reconnaissance.
Et c’est toujours le cas aujourd’hui ?
Oui comme acteur ou comme réalisateur d’ailleurs. Sur n’importe quel sujet de départ, je finis toujours par penser comédie. Après la comédie peut évidemment prendre plein de formes. #jesuislà en est une sa manière, plus émouvante. Quand je me mets à écrire, je n’ai pas de genre précis en tête mais à un moment ou à un autre, la comédie finit par revenir.
Dans votre parcours de comédie, il y a un autre élément- phare : Le Goût des autres qui vous a valu votre troisième nomination aux César. Qu’avez-vous appris avec le duo Agnès Jaoui- Jean- Pierre Bacri ?
Quand tu lis leur scénario, tu n’as pas la moindre virgule à changer. Et puis, grâce à eux, c’est la première fois que je me suis retrouvé à faire des lectures à table avec eux deux. J’étais assez traqueur mais ils sont tellement bienveillants et jamais dans le jugement que ce trac- là finit par s’envoler. Ils savent te mettre dans une zone de sécurité et de confort où rien ou presque ne peut t’arriver. Ca permet d’aller plus loin que ce que tu ne pensais. En fait, ils t’autorisent en te faisant confiance
Ce trac existe toujours ?
Oui, il ne part jamais. Et parfois il est vraiment chiant quand il est bloquant car il va te niquer la journée. Mais la plupart du temps, il t’ouvre les radars et la tension.
On sent que la priorité pour vous va à vos projets de réalisateur par rapport à ceux de comédien ?
Complètement. Mais j’adorerais que les journées fassent plus de 24 heures pour tout faire.
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