Les films du Camélia sortent en salles trois thrillers argentins des années 50 dont un formidable remake du chef-d’œuvre de Fritz Lang.
Nous savions déjà que M le Maudit de Fritz Lang (1931) avait un petit frère (le tendu M de Joseph Losey, 1951), pas qu’il existait un cousin argentin. Un cousin pas si éloigné dans lequel coule le même sang noir. En 1953, Román Viñoly Barreto, cinéaste d’origine uruguayenne mais basé à Buenos Aires, signe, en effet, Le vampire noir reprenant le même argument du scénario de Lang et Thea Von Harbou, soit la traque d’un tueur d’enfants dans une ville en surchauffe.
M le Maudit, le plus grand film de serial killer de tous les tempsLà où l’allemand rompait avec ses envolées expressionnistes pour un réalisme brumeux et documentait une population prête à basculer du côté obscur (Hitler accède au pouvoir en 1933), Barreto use des codes du film noir pour déplacer quelque peu l’intrigue. La portée politique plane toutefois au-dessus des têtes. Il n’y a qu’à regarder ce plan-générique où une ombre grimpe péniblement l’escalier d’un palais de justice et finit par perdre l’équilibre comme attirée vers l'abyme. Tout part ensuite d’un double regard, celui d’une chanteuse de charme (La très fatale Olga Zubarry) témoin oculaire de la fuite d’un homme dont elle ignore la portée des crimes. De l’autre côté de la fenêtre, les yeux globuleux et apeurés du psychopathe (exceptionnel Nathán Pinzón le Peter Lorre argentin!) la fixe. L’homme s’apprête à jeter dans une bouche d’égout le cadavre d’une gamine.
Dès lors s’amorce un récit complexe où l’odeur des bas-fonds de Buenos Aires contamine des trottoirs devenus intranquilles. Noir et blanc inquiétant, nuit sans fin, ramifications tortueuses où se croisent notre femme en détresse, un patron de boîte de nuit mafieux, des flics impuissants, des victimes anonymes et donc un assassin qui pourrait porter en lui le poids de toutes les fautes d’une société malade d’elle-même (l’Argentine de l’omnipotent Perón est sur le point de vaciller)
Le vampire noir séduit surtout par la grande fluidité de sa mise en scène et son inventivité constante (cf. les poussées de fièvre formelle précédant les crimes) Un travail d’orfèvrerie qui contraste avec celui plus sage de Que la bête meure (1952), autre titre du même Barreto au programme de cette mini-rétro de films noirs argentins, inspiré lui, du roman dont Chabrol s'est servi pour son film culte du même nom.
Dans son texte de présentation qui accompagne ce Vampire noir, le critique et historien du cinéma Charles Tesson pointe notamment cette séquence iconique avec la petite fille devant la vitrine d’un magasin qui répond à celle de M le Maudit, sauf qu’ici le plan « se révèle être une mise en scène de la police pour piéger le tueur. » Lang jouait, lui, plus directement avec la circulation du désir entre les corps et la marchandise exposée.
Le troisième film proposé par Les films du Camélia est signé Fernando Ayala et date de 1956. Son titre un peu spoiler, Un meurtre pour rien, est un sommet de tension paranoïaque où là-aussi la mise en scène est un régal pour les sens et les yeux. La musique signée Astor Piazzolla est formidablement utilisée, notamment lors d’une double-séquence démente dans un restaurant. Bref, on ne saurait trop vous recommander de découvrir ses pépites argentines.
Un meurtre pour rien, Que la bête meure et Le vampire noir, en version restaurée. Dist. Les Films du Camélia. En salles le 19 juin.
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