Dans une forme olympique, le réalisateur de 77 ans nous parle de sa carrière et de son rapport très spécial au montage.
Le festival CineComedies de Lille, qui se déroule du 28 septembre au 2 octobre, met à l’honneur le Splendid, avec une exposition et la projection de nombreux films de la troupe. Le réalisateur Jean-Marie Poiré, invité d’honneur de l’événement, en profitera pour présenter Le Père Noël est une ordure. Discussion à bâtons rompus sur son sens du rythme, sa relation avec Christian Clavier, son rapport au succès et ses similitudes avec Jean-Luc Godard.
Le Père Noël est une ordure célèbre ses quarante ans cette année. Qu'est-ce qui vous vient en premier à l'esprit quand vous repensez au film ?
Je ne pense jamais au Père Noël est une ordure (Rires.) Jamais ! Le passé, c'est le passé. Quarante ans… Quelle nouvelle abominable ! Ça commence à ressembler à une pierre tombale !
Vous comprenez la fascination pour le film et qu'on le célèbre encore, si longtemps après sa sortie ?
Je ne sais pas si je comprends, mais en tout cas, je suis très touché. J'ai cette chance absolument extraordinaire : plus de la moitié de mes films sont encore connus aujourd'hui, et repassent sans arrêt à la télé. Ils continuent à vivre. Ce n’est pas le cas pour tous les réalisateurs, loin de là.
Le Père Noël a aussi ceci de spécial qu'il s'agissait de votre premier film avec le Splendid au complet. Même si vous aviez déjà travaillé avec Josiane Balasko et Gérard Jugnot.
En fait, j'ai connu le Splendid sur Les Bronzés font du ski. Je voulais absolument écrire Retour en force avec Josiane, avec qui j'avais sympathisé sur Les Petits Câlins, mon premier film. Mais elle ne pouvait pas parce qu'elle était occupée par Les Bronzés 2. Alors je lui ai dit : « C'est un film choral, tu ne vas pas tourner tous les jours. Quand tu seras libre, on travaillera. Et sinon, je serai puni : j’irai faire du ski ! » Donc j'ai vécu le tournage à Val-d'Isère avec le Splendid, et j’ai rencontré tout le monde, dont Christian Clavier. J’étais très admiratif de la troupe : les gens ne s’en rendent pas compte aujourd'hui, mais ils étaient incroyablement anti-mode, à contre-courant. À l’époque, il était de bon ton de ne pas aimer De Funès ou Belmondo. Il fallait faire des films branchés. Le Splendid s’inscrivait à rebours de cet état d’esprit, il y avait quelque chose de « traditionnel » dans leur humour, même si je n’aime pas ce mot. Enfin, je dis peut-être des conneries, ça m’arrive souvent.
Branché, vous ne l’avez jamais été. Est-ce que ça a pu vous chagriner de ne pas être adoubé par le milieu et les critiques ?
Je me suis totalement interdit d'en souffrir et je vais vous dire pourquoi. Le cinéma, aujourd’hui, est un peu passé au second plan. C'est pourri par rapport à autrefois. Les salaires sont médiocres, tout est médiocre. Je ne parle pas de la qualité des films mais de ce que ça représente dans la société : les séries sont plus importantes, et je ne suis pas loin de penser que les jeux vidéo également. Moi, j'ai connu une autre époque. J’ai passé mon enfance à voir des metteurs en scène qui roulaient en Ferrari : Michel Audiard, Henri Verneuil, Roger Vadim... Je me souviens que les critiques vomissaient Verneuil et que ça le faisait beaucoup souffrir. Et je ne pigeais pas comment un mec qui roulait en Ferrari - avec en plus une femme plutôt jolie à ses côtés -, pouvait se sentir mal. « Souffrir en Ferrari ? Impossible ! » (Rires.) Je me suis toujours dit que si un jour j'avais une Ferrari, alors je ne pleurerais pas pour une mauvaise critique. Le seul truc qui me touche, c’est quand on ne reconnaît pas le travail des gens qui bossent avec moi. Parce que j'ai appliqué - enfin, j'ai eu la chance de pouvoir appliquer - la méthode Gérard Oury, qui engageait des chefs opérateurs extrêmement talentueux et de grands costumiers. Soigner la photo et les costumes, ça voulait dire prendre la comédie au sérieux. Et je crois que ce sens de l’esthétique participe aussi au fait que mes films durent dans le temps.
« Quand on revoit des films, on ne peut pas blairer qu'ils soient lents »
Vous me disiez en préambule que vous n’êtes « pas connu pour faire des plans-séquences ». C’est une litote ! On reconnaît un film de Jean-Marie Poiré en moins de trois minutes grâce au rythme quasi épileptique de son montage. C’est une vraie signature.
J’ai eu le déclic en observant mon fils en train de regarder la télévision : il zappait, et comme il avait peur de s'ennuyer, il enfilait une cassette en plus dans le magnétoscope. Quand la télé l'embêtait, il allait voir sa cassette, puis il revenait à la télé. Je me suis dit : « En fait les films sont tellement lents qu’il ne loupe rien. » Ça m’a beaucoup frappé. Plus tard, Mes Meilleurs Copains, qui était mon premier film en tant producteur, n’a attiré personne dans les salles. C’est un film que j’aime beaucoup - et pas très rapide d’ailleurs - mais qui m’a ruiné. Un désastre économique. J'ai hésité à devenir restaurateur ou antiquaire, mais Dieu merci, j’ai été sauvé par la publicité. J’y suis devenu un metteur en scène incontournable, j’en ai fait près de 100. Et j’y ai appris qu'on racontait très bien des histoire en trente secondes. Attention hein, on peut parfaitement adorer un film un peu lent. Mais parfois je me retrouve devant des trucs… J'ai l'impression que le metteur en scène me prend pour un con ! Je me dis : « Oui c'est beau ! Le plan est beau ! On pourrait en avoir un autre ? » (Rires.) Bref, j’étais dans une réflexion sur le rythme, et je suis tombé sur un micro-trottoir à la télé, un gamin de 14-15 ans pris à la sortie d’un cinéma, et qui disait qu’il n’allait jamais voir de films français « parce qu’ils sont chiants ». Et le môme racontait une pure histoire de montage : comment, dans le cinéma français, on va filmer un mec garer sa voiture, fermer la bagnole, monter dans l’ascenseur, entendre le téléphone sonner chez lui, chercher sa clé… Et quand il arrive enfin à l’intérieur, le téléphone a arrêté de sonner. J'ai trouvé ce garçon très marrant, et puis ça a coupé, on est passé sur une émission de débats avec Toscan Du Plantier, qui disait : « Voilà, c'est la génération vidéo. » Ben oui, c'est la génération vidéo ! Il faut s'adapter à eux. Parce que les gens qui vont au cinéma, ils sont jeunes. Et puis quand on revoit des films, on ne peut pas blairer qu'ils soient lents. On veut aller à l'essentiel. Il faut tenir compte de ça. On parlait de quoi, déjà ?
De votre obsession pour le rythme, qui à mon avis prends corps avec L'Opération Corned-Beef.
Je crois que j’ai toujours fait des films les plus rapides possibles mais j’ai changé de style de montage, vous avez raison, au moment de Corned-Beef. Juste après mon passage dans la pub. Je me suis dit : « Tous ces trajets, c'est très ennuyeux. Est-ce qu’on ne pourrait pas simplement les couper ? ». S'il n'y a pas d'objet intéressant à regarder, ou une situation psychologique qui fait que le trajet fait partie intégrante de l'histoire... à quoi bon ? Je passe ma vie à regarder des films, et j'en ai encore vu un hier, d'un metteur en scène adulé par la critique... Je l'ai regardé jusqu'au bout - enfin pas tout à fait, parce qu'au bout d'un moment j'en avais quand même plein le cul -, et je pensais : « C’est une scène, ça ? Il ne se passe rien. Eh ben. »
Vous parlez de quel réalisateur ?
Je ne vous le dirai pas, je ne veux pas dire du mal des gens. Je n'ai pas de leçon de cinéma à donner. Enfin, une fois j'ai donné un cours pour une école de commerce. Je leur ai dit : « Vous voyez la forme de l’écran de cinéma derrière moi ? » Et j'ai sorti un billet de 500 francs : « Regardez, c'est la même forme. Mettez-vous bien ça dans la tête : le cinéma, avant tout, c'est un billet de 500 balles. Une industrie avant d'être un art. Et si c'est un art, coup de pot. » Bref, un certain nombre de scènes ne sont pas intéressantes, ou trop longues, et m’ennuient, moi, en tant que spectateur. Si tu ne me fais pas rire, peur ou pleurer, je m’emmerde. Dans le rythme d’un film, il doit y avoir un respect du temps d'attention du spectateur, qui n'est pas illimité. Et d'ailleurs, le réalisateur dont je vous parlais fait des entrées lamentables malgré des critiques démentes. Son plus gros succès est à 600 000 entrées. Moi quand je fais 800 000 entrées, on me dit que c’est un bide ! Avec Les Visiteurs 3, je me serais visiblement planté alors que j'ai réuni 2,3 millions de spectateurs ! Je suis stupéfait !
C'est aussi en rapport avec le budget, Les Visiteurs : La Révolution a coûté 25 millions d’euros…
Oui c'est sûr. M’enfin, si moi je n'ai pas gagné d’argent, eux n'en ont pas perdu.
C’est très présent chez vous, ce besoin de faire des succès.
Je ne fais pas un film pour qu'il ne soit pas vu. Si les spectateurs ne viennent pas, ça ne m'intéresse pas. J'ai perdu mon temps. Je n'ai pas de message à faire passer, que du plaisir. Un film, pour moi, c'est avant tout un travail qui consiste à divertir et à amuser les gens. Il y a des réalisateurs - c'est psychiatrique -, ils ont l'impression que leur film, c’est leur vie. Moi, ma vie elle est au plumard, pas dans les salles de cinéma ! Je fais un boulot qui me passionne, que j'espère très beau - parce que c'est important - et surtout très drôle et très bien joué. C’est déjà pas si mal.
« Je fais des films expérimentaux très bizarres, très d'avant-garde, extraordinairement peu commerciaux »
Je voudrais revenir sur votre relation avec Christian Clavier. Vous avez fait dix films ensemble et il est plus que régulièrement votre co-scénariste. Comment expliquez-vous cette alchimie entre vous ?
C’est d’abord une rencontre amicale, car on est d’accord sur plein de choses. J’ai beaucoup de sympathie pour Christian parce que c'est quelqu'un qui a toujours été partant pour des idées de dingue. Avec le recul, Twist again à Moscou, c’était un truc de fou, comme Les Visiteurs d’ailleurs. Personne n'a voulu produire Les Visiteurs, c'est un film qui s’est gagné au bras de fer. Je l'ai produit avec Clavier contre l'avis d'Alain Terzian et même de Gaumont, qui a fini par me suivre parce que j'ai menacé d'aller le tourner ailleurs. Tout le monde a trouvé le scénario épouvantable, débile… En vieux français en plus ! Et pourquoi pas en chinois ? Mais Christian a été emballé d'entrée. On travaille en ce moment sur une série, Au Bon Beurre [nouvelle adaptation du roman de Jean Dutourd qui devrait être diffusée en 2023]. Je lui ai envoyé et paf, le soir même il m’appelait pour me dire qu’il trouvait ça génial et qu’il jouerait le rôle principal. C'est quelqu’un qui est client d'idées que la plupart des gens refusent. Moi, je fais des films expérimentaux très bizarres, très d'avant-garde, extraordinairement peu commerciaux. Les critiques se trompent totalement : je ne fais pas un cinéma commercial mais d'humeurs, d'idées et d'envies. J’aime le risque. Je ne suis pas loin du cinéma de Jean-Luc Godard en fait, même s’il est beaucoup plus systématique que le mien. Lui faisait toujours le même film, moi tous mes films sont incroyablement différents. Il n'y en a pas un qui ressemble à l'autre, à part la suite des Visiteurs, bien sûr. Et Christian a toujours envie de me suivre, en plus d'être un acteur génial. Ce qui est déjà un bon point, parce qu'en général j'ai du mal à avoir les acteurs (Rires.) Ils adorent tourner avec Quentin Tarantino et Xavier Dolan, mais avec moi, pas du tout. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que les acteurs et les critiques ont les mêmes goûts... Ce n'est pas bien grave, je ne suis pas malheureux.
Le programme de CineComedies est à retrouver sur le site du festival.
Ma scène culte des Visiteurs, par Jean-Marie Poiré
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