Il y a quelque chose d'un The Crown à la française dans ce passionnant biopic plus grand que nature, incarné par un Laurent Lafitte en mission.
"Vous allez vous souvenir de ce nom : Tapie !" Il voulait marquer l'Histoire. Il voulait marquer la France. Il aura réussi au point d'avoir droit à son biopic Netflix ! Bernard Tapie, l'homme aux mille vies, nous est conté de manière grandiose dans la nouvelle série événement de la plateforme. 7 épisodes qui refont le mythe, rejouent l'histoire et déconstruisent la légende avec de la distance, du respect et une évidente fascination. Il faut dire que le parcours extraordinaire de ce fils d'artisan issu du monde prolétaire, qui a forcé au pied de biche son entrée dans la bourgeoisie, est juste incroyable. Au sens littéral. Tellement dingue, qu'on a du mal à imaginer que tout ça ait vraiment eu lieu. Et pourtant.
Dans les années 1960, le jeune Bernard Tapie se rêve un destin de riche et de puissant. Pour y parvenir, il se dit qu'il n'a qu'à devenir une star de la chanson. Il passe donc par un télé-crochet télévisé, où il fait sensation, au nez et à la barbe d'un certain Michel Polnareff. Sauf que lui va réussir tandis que Tapy - qui a changé son patronyme pour faire américain - connaît un flop retentissant avec son pseudo tube "Passeport pour le soleil". Qu'à cela ne tienne. Bernard n'est pas homme à se laisser abattre et à accepter son sort de Français moyen. Au grand dam de sa jeune épouse, il tente de monter son premier business. Un magasin d'électro-ménager révolutionnaire. L'homme d'affaires Bernard Tapie est né. Et d'idées géniales en concepts farfelus (l'épisode sur sa société Cœur Assistance, qui voulait faire payer le SAMU aux malades cardiaques, est particulièrement jouissif), il va se forger un nom, une réputation, jusqu'à devenir un capitaine d'Industrie mué en figure de la France qui gagne, avec sa propre émission de télé... Puis le patron de l'OM se frayera un chemin jusqu'aux arcanes de l'Elysée, éphémère Ministre de la Ville de François Mitterrand bien décidé à faire bouger les choses dans les quartiers. Avant sa chute, inexorable quand on vole si près du soleil si longtemps...
Plus qu'un biopic sur une célébrité du XXe Siècle, Tapie est une chronique de la réussite, une fable de l'ascenseur social de la République, une peinture mordante et émouvante d'un personnage plus grand que nature, qui a refusé sa condition. La force de la série, c'est de ne pas avoir vocation à dérouler la fiche Wikipedia de l'artiste déchu mué en businessman. Tristan Séguéla et Olivier Demangel n'ont pas cherché à reproduire à la lettre la vie de Bernard Tapie. Ils ont pris des distances, modifié quelques noms, quelques faits, pour donner plus de corps et de puissance à leur récit. "On ne fait pas un biopic des faits, mais un biopic de l'homme, un portrait, avec tout ce que ça implique de raccourcis, de synthèse, de fusion ou d'invention", nous disaient-ils récemment dans une interview à lire dans le magazine Première de septembre 2023. À travers Bernard Tapie, la série raconte aussi quelque chose du pays, de la France de ces décennies de fin de siècle. Car le self-made millionaire était le produit d'une époque et l'esprit de The Crown plane indéniablement sur la série. "The Cown a été l'une de nos références pour l'écriture", nous confirme Laurent Lafitte, très impliqué dans le développement. La royale série anglaise de Netflix partage en effet ce sens de l'histoire romancée, ce désir de fiction enchevêtré dans le réel, qui confère force et empathie aux personnages. Dans cette veine du biopic fictionnel assumé, Tapie prend beaucoup de libertés avec une certaine vérité historique.
Car la série ne cherche pas à faire du documentaire, mais du drama. Laurent Lafitte n'a pas enfilé la perruque pour singer le Nanar sévèrement "burné" que Les Guignols ont fait passer à la postérité. L'acteur est d'ailleurs à peine vieilli entre l'épisode 1, dans les sixties, et le final, 30 ans plus tard. Parce que là n'est pas l'important. Parce que Tapie se moque de la comparaison avec le réel et c'est certainement comme ça que les biopics sont les plus intéressants. "Je ne lui ressemble même pas tant que ça en vrai", s'amuse d'ailleurs Laffite. Et en matière de drama, Tapie a de sacrés atouts à faire valoir, au point de soutenir la comparaison avec The Crown.
Les dialogues sont cinglants. L'écriture est d'une efficacité réjouissante. Le casting est parfait. Joséphine Japy et Camille Chamoux entourent admirablement le héros Dumasien. Et puis la reconstitution historique est épatante, soignée jusque dans les détails. Jusque dans le bureau du procureur de Valencienne, cadre improbable d'un final tout à fait magistral. Confiné dans quelques mètres carrés, un moite soir d'été, un étouffant huis-clos se joue sous nos yeux. Bernard Tapie, au sommet de sa puissance, vient essayer d'intimider Eric de Montgolfier qui instruit l'affaire OM-VA. S'ensuit un fumant face à face à couper le souffle. Une séquence minutieusement dialoguée, idéalement mise en scène et qui résume à elle seule ce Tapie version Netflix : bluffant, au-delà de la ressemblance.
Tapie, saison 1 en 7 épisodes, à voir sur Netflix à partir du 13 septembre 2023.
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