Première
par Thierry Chèze
Nul temps mort dans le nouveau Radu Jude (Aferim !). On est d’emblée plongé dans le corps du délit : une sextape d’une enseignante roumaine et son mari qui, en fuitant sur Internet, va mettre à mal sa réputation. Ces ébats qui surgissent frontalement donnent le la d’un film insaisissable, dans lequel on se perd d’autant plus volontiers qu’il y a à la barre un metteur en scène qui sait, lui, où il va. Cette journée en enfer de cette prof refusant de se soumettre au diktat de l’humiliation se divise en trois parties aussi antinomiques que complémentaires. Une déambulation dans Bucarest où insultes, agressions et tensions en tout genre créent un climat d’autant plus étouffant que tout semble saisi sur le vif comme en caméra caché. Puis un intermède azimuté où Jude passe avec revue une série de concepts (colonialisme, sexisme, racisme, ubérisation…) au tamis d’un absurde grinçant. Et enfin l’apothéose : le tribunal stalinien auquel cette enseignante doit se soumettre face aux parents d’élèves pour garder sa place et qui encapsule tous les maux de notre époque (révisionnisme historique, complotisme roi, slutshaming, dérives du puritanisme) dans un geste d’une férocité renversante. Ce puzzle ovniesque qui place le spectateur dans un état d’instabilité permanente a cependant une cohérence. A chaque instant, Jude y questionne la notion d’obscénité qui dépasse évidemment les rives de la pornographie. Accompagné par des ritournelles de… Bobby Lapointe, l’Ours d’Or de Berlin 2021 raconte la banalité du mal en se montrant tout à la fois glaçant et hilarant. Le cocktail parfait d’une oeuvre hors normes.