Première
par Sylvestre Picard
(...) Même après avoir affirmé la faiblesse et la réalité de son héros, comment redescendre après avoir fait des galipettes dans l'Olympe ? On ne peut pas. Ou alors on doit continuer, de plus en plus fort, de plus en plus loin et c'est comme ça que commence directement "Mission : Impossible : Rogue Nation". Par la déjà fameuse cascade en avion, avec Tom accroché pour de bon à la carlingue d'un Airbus A400M Atlas en plein décollage. Envoyez le générique. "Rogue Nation" vient de décoller en mettant d'emblée le curseur très, très haut. Mais en ouvrant très fort avec sa scène la plus attendue, à la différence de "Protocole fantôme", "Rogue Nation" économise en fait ses cartouches. Le film enquillera ensuite une série de morceaux de bravoure intelligemment placés, rythmés comme une respiration, mettant au tapis sans peine les derniers James Bond (qui font d'ailleurs le pari de l'introspection depuis "Casino Royale"). (...) Le film s'achève avec une scène de thriller sèche et tendue, qui ne joue pas le spectaculaire mais l'efficacité pure. Et on se rend compte que le film synthétise la volonté de ses deux maîtres : Cruise acteur-producteur pour les cascades folles et McQuarrie pour le thriller post-moderne (l'opéra convoque Hitchcock de "L'Homme qui en savait trop", et le fight final au couteau vient de son "Jack Reacher"). Et le Cruise show est véritablement, totalement spectaculaire. (...) "Rogue Nation" reste dans le cahier des charges de la saga en se déroulant dans l'utopie post-Guerre froide de l'espionnage (très) high-tech, et en mettant en danger la team IMF dès le départ. C'est bien ce que raconte la série depuis le premier film signé De Palma il y a vingt ans : pas de méchant oligarque russe, pas de terroristes barbus le Coran à la main, non, seulement des traîtres, des ennemis de l'intérieur et de la paranoïa - les ombres portées des guerres de services des "monstres froids" étatiques. On va voir ce film d'action quasi parfait dans le même but qu'on allait voir les films de Douglas Fairbanks, Buster Keaton, plus tard Jackie Chan, héros des actioners primitifs où la star promettait de mettre en jeu son propre corps. Mais en creux se dessine une inquiétude : que pourra faire de plus Cruise dans "Mission : Impossible 6" ? (...) Derrière son aspect spectaculaire, "Rogue Nation" -soyons pompeux et reprenons la belle expression de Jean-Louis Backès pour résumer le mouvement de L'Iliade- "glisse doucement vers l'abîme". Enfin, pas vraiment doucement, mais plutôt tous moteurs hurlant.