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Hier soir à Toronto, impossible de s’asseoir devant la première mondiale de Cloud Atlas sans un minimum d’expectatives. D’abord, bien sûr, parce qu’on voit moins souvent un Wachowski tout juste sorti du four qu’un nouveau Woody Allen. Mais surtout parce que le trailer du film balancé au cœur de l’été, interminable et hors-norme, promettait beaucoup, le meilleur comme le pire. Un énorme morceau de cinéma « qui pense », dévoilant l’alpha et l’oméga de l’humanité en une farandole de destins croisés ? Un geste conceptuel démiurgique unique dans les annales du septième art ? Un salmigondis lelouchien où Tom Hanks changerait de perruque à chaque plan ? C’est en effet à peu près ce qu’on a vu. Mais pas tout à fait selon les termes attendus.Adapté du roman de David Mitchell, Cloud Atlas entrecroise six intrigues différentes, toutes interprétés par les mêmes comédiens, au cours d’un long barnum cinématographique qui ressemble à la conversation qu’auraient le Resnais de Smoking/No Smoking et le Inarritu de Babel s’ils avalaient du peyotl ensemble. Six intrigues, donc, six aventures héroïques où les personnages s’émancipent et brisent leurs chaînes, six segments qui sont autant de variations sur les mythologies fondatrices et les règles de base du cinéma classique : une expédition maritime au 19ème siècle, les péripéties d’un éditeur fauché dans l’Angleterre contemporaine, une enquête journalistique dans le San Francisco 70’s, une rébellion d’esclaves dans la Séoul du futur… L’idée, ensuite, est de coller ces différents blocs pour produire une sorte d’étude empirique XXL sur la question du montage parallèle. En gros, voir ce que ça fait de réaliser (puis de regarder) six films à la fois. Et en profiter au passage pour mettre en lumière les invariants éternels des grands récits de l’histoire humaine, de Aristote à Hollywood. Vous êtes toujours là ?La vraie bonne surprise du film est que, sous ses allures de kouglof théorique, il est porté par un enthousiasme féroce et une ironie permanente, la même joie maniaque qui sous-tendait déjà Speed Racer. A la force du poignet, au bout de 2h40 qui font passer son spectateur par un nombre d’états ahurissant, Cloud Atlas finit par s’imposer comme une déflagration de cinéma ultra-ludique et hautement roborative. On n’a jamais l’impression d’être devant un pensum, en partie parce qu’un dialogue sur deux a pour fonction de souligner que tout ceci est une vaste blague, une gentille petite expérience hallucinogène menée entre copains. Cloud Atlas est une comédie, oui, malgré le cosmos, les visions glaçantes du futur et les violons à la fin. Alors, une fois qu’on a compris ça, on se met à lui pardonner beaucoup de choses : les prothèses grotesques de Hugh Grant, sa durée dingo, ses sous-intrigues ramollo. Et la collection de moumoutes de Tom Hanks ? Oui, aussi.Frédéric Foubert