Et si Donoma marquait l’avènement d’un jeune cinéma français indépendant jusqu’au bout des ongles ? Rencontre avec Djinn Carrénard, réalisateur épris de liberté.Propos recueillis par Alex Masson Donoma n’a coûté que 150€. Peu importe que ça soit vrai ou pas : le premier film de Djinn Carrénard n’est pas à quelques milliers d’euros prêts et devrait, quoiqu’il en soit, entrer dans la légende des productions à ultra-low-budget. Le film pourrait même battre des records détenus jusque-là par des américains : dans les années 80-90, les carrières de Jim Jarmusch (Stranger than paradise), Spike Lee (Nola Darling n’en fait qu’à sa tête), Kevin Smith (Clerks) ou Robert Rodriguez (El Mariachi) furent lancées en partie sur la réputation de films aussi novateurs que fauchés. « Ce sont des réalisateurs que j’admire, confie Carrénard. Comme ils ont démarré sans moyens, je me suis dit que c’était peut-être une clé, ou qu’il fallait passer par une sorte de rite initiatique qui ferait qu’après Donoma, les producteurs regarderaient différemment mon travail ». Depuis deux ans, ce film choral n’intrigue pas que les producteurs. C’est toute l’industrie cinéma qui observe, étonnée, son parcours. Le buzz a d’abord démarré sur le net et en festivals aux quatre coins du monde, mais surtout tout s’est fait en dehors des clous : Donoma, n’a pas d’acteur bankable à son générique, est auto-financé, n’a pas d’affiches sur les colonnes Morris, mais emballe les spectateurs, séduits par le dynamisme et la justesse de ton de cette étude de mœurs en trois sketches.Donoma est un prénom amérindien qui signifie : le jour est là. Celui de Carrénard et sa troupe de factotums se rapproche, le film sort en salles le 23 novembre prochain. Mais là encore, dans la logique qui l’a guidé : l’artisanat, le fait-main, en marge du système. « J’ai été en contact avec des distributeurs qui étaient intéressés pour sortir Donoma, mais pas sous ce montage. Sauf que la chose n’est pas dite comme ça, mais avec une forme de paternalisme : « on peut te soutenir, mais tu vois, il faudrait que tu enlèves des petites choses ici et là ». On te fait comprendre qu’en gros la responsabilité de la sortie ou non de ton film dépend de toi. Concrètement, tu es libre, oui. Mais surtout libre de te tirer une balle dans le pied ». Cette envie de tout péter n’est pas propre à Donoma et le film de Carrénard est un arbre qui cache une forêt. Ces dernières années, on a vu apparaître plusieurs films autoproduits pour le coût d’un an de Carte UGC. Conséquence de l’émergence d’une génération de cinéastes biberonnée à la cinéphilie et au camescope familial. Souvent les résultats sont de bonne tenue, mais rares sont ceux qui passent par la case « sortie salle ». Coline (les amis de mes amis) a connu sa petite heure de gloire sur Dailymotion, les DVD auto-édités d’African Gangster s’arrachent dans les banlieues. Carrénard voyait les choses autrement : « Il est important que Donoma soit exploité en salles. Pour une raison simple : mon amour du cinéma. Je pourrais le mettre en ligne sur le Net ou le sortir en DVD ; il trouverait sans doute son public. Mais ça serait éternellement teinté d’un regret. C’est comme si un architecte n’arrivait pas à faire construire une maison. A un moment, il faut qu’une première pierre soit posée, qu’elle soit visible. J’espère être dans un mouvement fédérateur : j’adorerai que le cinéma français soit changé par des initiatives comme celle-ci, qu’on puisse voir en salles des films qui se sont passés de l’avis des services cinéma des chaînes de télé ou de celui des gros distributeurs. Dans cette optique là, je devais aller jusqu’au bout de la chaîne : les gamins qui s’inscrivent aujourd’hui à la fac en option ciné ou à la Femis n’ont qu’un seul fantasme, faire des films pour les salles ».De la première prise à la sortie, Carrénard et son gang ont pris les armes à leur portée : campagne virale faite avec les moyens du bord – happenings dans le métro, pillonnage sur les réseaux sociaux, et création de la société Donoma guerilla. Il ne faudrait pas pour autant y voir des envies d’anarchisme visant à renverser les structures officielles comme le CNC, fournisseur officiel de subventions du cinéma français. « De facto, on donne l’impression d’avoir donné un coup de pied dans la fourmilière, mais ce n’était pas forcément le but. Certains films justifient totalement le fait d’avoir nécessité dix millions de budget. Je suis fan de certains blockbusters, et je ne vais certainement pas cracher dessus. Mais ça ne m’empêche pas de voir des films dont le budget est d’évidence gonflé. Si les cinéastes et les producteurs qui décrochent des budgets à sept ou huit chiffres pour faire des films dans des deux-pièces parisiens se sentent menacés par une initiative comme Donoma, à la limite tant mieux, mais encore une fois, ce n’est pas le but. Pour ce qui est du CNC, s’ils n’avaient pas voulu nous aider, j’aurais presque trouvé ça normal puisque Donoma est fait en dehors de leurs règles. Pour moi, le CNC c’est comme la CAF : pour bénéficier de leurs aides, il y a des principes à suivre. Tu ne les suis pas, tu ne touches pas d’allocs, point ».Pour le cinéaste, le problème est ailleurs. Les autres maillons de la chaîne. « Si on a encore peu fait de festivals ici, alors que c’est le pays où il y en a le plus, c’est parce qu’on nous a généralement dit « On ne peut pas le sélectionner mais est-ce que vous voudriez bien venir parler de votre démarche ? ». Eh, oh les gars, je suis un cinéaste, pas un maître de conférence. Et même quand on a été pris en sélection, il y a eu un effet polémique : des jurys se sont frités entre ceux qui voulaient nous primer et d’autres qui argumentaient qu’il était hors de question d’encourager une telle démarche…Pour la distribution on fait le choix de se diriger vers les salles d’art et d’essai, d’éviter au maximum les circuits, afin d’avoir un rapport privilégié avec des programmateurs individuels. Pourtant certains nous ont dit dans un premier temps, qu’ils allaient garder Donoma cinq semaines dans leurs salles , pour finalement reculer, et dire qu’ils ne peuvent pas se priver de certains films plus « importants » à qui ils vont donner la priorité. Ca confirme qu’il y a extrêmement peu de gens dans ce milieu qui peuvent poser des actes basés sur leurs goûts. Sauf que ce comportement, qui tient d’une auto-censure plus violente que la censure officielle, mène à une suspicion : si personne ne parle de Donoma, les gens en viendront forcément à penser que c’est parce que le film n’en vaut pas la peine. Les programmateurs, distributeurs et journalistes sont tellement frileux, qu’ils refusent d’ouvrir des portes, en se disant, ne serait-ce que pour se marrer, « et si je donnais de la visibilité à ce film, est-ce que ça pourrait pas foutre un peu le bordel, changer un peu la donne du système ? » C’est ce pour quoi on lutte avec ce film, de sa fabrication à sa distribution. Qu’au moins on puisse être exposés un minimum. Après, libre aux gens de penser et de dire que c’est un mauvais film, mais ce sera en connaissance de cause».Avec une telle démarche, pas étonnant que Carrénard dépasse le cinéma pour glisser lentement vers le politique : « A chaque porte qu’on bouscule, on découvre qu’il y en a d’autres à ouvrir. Un exemple : un festival à Lille nous a offert une copie sous-titrée pour une séance pour les sourds et malentendants. Lors du débat, une dame nous a dit : « Merci de me permettre de voir un film français au cinéma ». Il y a 5 millions de sourds et malentendants en France, soit plus de votants que pour la primaire du PS et ils n’ont quasiment pas accès au cinéma de leur pays ?? Plus dingue encore : toujours lors de ce débat, des spectateurs sont venus nous demander la signification de certains mots de verlan, qu’ils n’avaient forcément jamais entendu. Tu imagines ce que ça signifie culturellement, socialement ? Conclusion : on a décidé que toutes les copies de Donoma seraient sous-titrées ».Pas besoin de sous-titres pour comprendre à quoi carbure cette équipe : l’énergie. Mais il va falloir la canaliser. Quelques semaines avant sa sortie, la guerilla commence à porter ses fruits : Carrénard se retrouve en une des Cahiers du cinéma consacrée à ceux qui « vont faire le cinéma de demain », Didier Péron, le patron du service cinéma de Libération tweete tout le bien qu’il pense de Donoma… Et le buzz autour de ce fameux « film fait pour 150€ » commence à monter jusqu’aux oreilles des médias ayant pignon sur rue. Jusqu’à faire passer le film en soi au second plan ? « Quand on a été pris à Cannes par l’ACID, j’ai vite compris sur place, que si on avait été en sélection officielle, le film se serait fait atomiser. On a eu la chance d’être pris dans une autre tourmente : dès qu’on a appris qu’on était à l’ACID, on s’est pris sur la tronche une encyclopédie de savoir économique (comment est-ce qu’on trouve un vendeur ? un distributeur ? comment faire la différence entre les achats, les préachats ?) qu’il fallait digérer rapidement. Du coup, on a évité le cyclone de la médiatisation. J’ai vu Nicolas Sornaga, qui a fait Monsieur Morimoto dans les mêmes conditions fragiles que nous, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs… Il s’est pris les pieds dans le tapis médiatique cannois, et au final, son film n’est jamais sorti en France. Je n’ose pas imaginer combien la même situation m’aurait rendu fou. Aujourd’hui, je crois que je me préserve d’une éventuelle surmédiatisation en me focalisant sur un seul objectif : remplir le Rex pour notre avant-première. Si tu y réfléchis, c’est absurde, parce que ça ne représente que 2000 personnes, ce qui est dérisoire dans l’exploitation d’un film, mais en même temps, on s’éclate vraiment à monter cette projection, et je sais qu’entre nous, on en parlera, avec la banane, encore dans dix piges. Qu’est ce que la surmédiatisation peut m’amener par rapport à ça ? ».Propos recueillis par Alex MassonBande-annonce de Donoma :
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- Djinn Carrénard, réalisateur de Donoma, le film à 150 euros : "Pour moi le CNC, c’est comme la CAF"
Djinn Carrénard, réalisateur de Donoma, le film à 150 euros : "Pour moi le CNC, c’est comme la CAF"
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