Ernest Cole
Condor Distribution

Le réalisateur de I Am Not Your Negro revient sur la fabrication de son remarquable documentaire consacré à ce photographe sud-africain qui fut le premier à dévoiler au monde les horreurs de l’Apartheid.

Quand naît l’idée de consacrer un documentaire à Ernest Cole ?

Raoul Peck : Ernest Cole a accompagné une partie de ma vie, sans avoir alors conscience de l’immense artiste qu’il était. Lorsque le jeune Haïtien en exil que j’étais est parti étudier à Berlin à 17 ans et que, sur place, comme tous mes amis très politisés, j’utilisais des clichés de Cole pour nos combats et nos manifestations. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai découvert son livre House of bondage, qui constitue la colonne vertébrale de mon documentaire et où il fut le premier à dénoncer aux yeux du monde entier les horreurs de l’Apartheid. Il n’avait alors que 27 ans et fut contraint à un exil définitif de son pays. Ce fut un véritable choc pour moi. Mais pour répondre précisément à votre question, je ne suis pas à proprement parler le déclencheur de ce documentaire. Tout démarre le jour où, après avoir vu I Am Not Your Negro, sa famille m’appelle pour savoir si j’aimerais lui consacrer un film

Vous dîtes oui immédiatement ?

Non parce que je suis alors en plein milieu de ma série documentaire Exterminez toutes ces brutes. Donc je n’en ai pas matériellement. Mais je vais rester en contact avec eux et quand ils m’expliquent qu’ils sont en train de rapatrier toutes les archives de Cole en Afrique du Sud, je les aide à financer l’immense travail de numérisation dans lequel il se lance. Et puis, le temps va faire son office, comme pour tous mes films au fond. Et je vais vraiment me lancer quand au- delà du travail de mémoire pour que cet immense artiste ne plonge pas dans l’oubli, je vois un moyen de faire résonner l’œuvre d’Ernest Cole avec aujourd’hui.

Et pour ce documentaire, vous choisissez de le raconter à la première personne du singulier. Pour quelle raison ?

Précisément pour redonner la parole à Ernest Cole qui en a été privé pendant tant d’années. Pour moi, seul Cole pouvait raconter Cole. Et pour écrire ce texte, je vais évidemment d’abord me replonger dans House of bondage. Et je vais redécouvrir, par-delà la beauté des photographies, l’incroyable puissance de ce texte. La qualité de son écriture. Sa poésie teintée d’un humour assez irrésistible. La finesse de son analyse sur l’Afrique du Sud – sa lecture notamment d’un pays fracturé tout autant sinon plus par les différences de classe que de race – et sur les raisons pour lesquelles le monde occidental n’a alors pas bougé le petit doigt pour changer les choses. Et en parallèle, je vais demander à des membres de mon équipe de parcourir le monde pour rencontrer des gens qui ont connu Cole pour qu’ils recueillent leurs confidences qui allaient me permettre de nourrir ce texte

Texte auquel vous prêtez donc votre voix alors que pour I Am Not Your Negro, vous aviez confié à Joey Starr, celle de James Baldwin…

Ce n’était pas prévu mais, dans le court laps de temps qui nous était imparti pour l’enregistrement, j’ai vite compris que je n’allais pas arriver à diriger comme je le souhaitais l’ami acteur à qui j’avais fait appel. Il ne fallait pas jouer Cole mais le vivre. Et pour avoir écrit chaque ligne de ces textes, pour avoir passé tous ces mois dans la vie de Cole, j’ai pensé que je serais le plus à même à obtenir ce que je recherchais. Même si j’avoue que le travail de Lakeith Stanfield (Sorry to bother you) dans la version américaine, digne de celui de Samuel L. Jackson pour celle de I am not your negro, m’a impressionné. En l’entendant, j’ai vu tous les endroits où j’aurais pu encore mieux faire.

Quelle est votre plus grande fierté avec ce film ?

Sans doute d’avoir remis Ernest Cole sous le feu des projecteurs. Comme j’ai pu le faire avec Lumumba ou James Baldwin dans mes films précédents. C’est sans doute le moteur principal de mon travail. Empêcher que ces actions, que ces œuvres disparaissent peu à peu.

Ernest Cole, photographe. De Raoul Peck. Durée : 1h46. Sortie le 25 décembre 2024

Ernest Cole, photographe - livre aux éditions Denoël