PREMIÈRE : Joseph, je sais que vous parlez très bien notre langue...JOSEPH GORDON-LEVITT : (En français.) Oh, juste un tout petit peu !Vous préférez qu’on fasse l’interview en anglais ou en français ?(Toujours en français.) Si je veux dire quelque chose d’intelligent, je crois qu’il vaut sans doute mieux que je parle en anglais.Très bien. Comment présenteriez-vous votre film à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler ? Don Jon est une comédie qui aborde le problème des apparences et la façon dont on traite certaines personnes en leur collant des étiquettes, notamment à cause des médias, qui contribuent en grande partie à ce processus.En tant que star hollywoodienne, avez-vous déjà souffert de l’image que la presse renvoie de vous ?J’ai commencé ma carrière très tôt (à 12 ans) et il est vrai que les médias s’immiscent littéralement dans votre vie, y compris amoureuse et même parfois sexuelle. Le public a donc souvent une image superficielle des artistes. D’une certaine façon, c’est l’idée que j’ai voulu exprimer à travers l’histoire de ce jeune mec. Il consomme énormément de pornographie, au point d’avoir une image très limitée des femmes, mais il rencontre une fille jouée par Scarlett Johansson qui, à l’inverse, s’est construit une image de la relation amoureuse en regardant des comédies romantiques. Cette confrontation était intéressante à aborder.Ce que vous critiquez dans Don Jon, c’est finalement notre manière frénétique de consommer sous toutes ses formes et le rôle que les médias jouent dans cette escalade.Exactement. Je ne pense pas que le problème vienne du fait de consommer du porno, des romcoms, des pubs, des documentaires ou des chansons à la radio. L’objet n’a pas vraiment d’importance. La véritable question est plutôt de savoir comment nous absorbons ce qui nous est proposé. De nos jours, on nous pousse à vouloir tout, tout de suite, alors que dans la vraie vie c’est très différent. Il faudrait que chacun se rende compte qu’elle est beaucoup plus belle et intense car on y trouve davantage de détails, de nuances et de mystères.Aujourd’hui, des artistes populaires comme Rihanna ou Miley Cyrus font du porno leur fonds de commerce. Je ne suis pas puritain, mais c’est une invasion, non ?Oui, et c’est pour ça que, sans doute plus que jamais, nous devons vraiment rester vigilants dans notre façon d’appréhender les médias et les images qui nous parviennent, parce que les moyens de communication et d’information affectent réellement notre rapport aux choses. C’est ce que j’ai voulu mettre en avant avec Don Jon.Pour revenir à l’origine de votre projet, comment est né ce désir de passer à la mise en scène ?J’ai toujours été attiré par le fait d’être sur un plateau, par le processus de fabrication des films. À 21 ans, je me suis offert une version de Final Cut (un logiciel de montage numérique) et je n’ai pas arrêté de tourner des images que je montais ensuite. J’ai réalisé des courts métrages et des clips dans ma cave pour m’exercer.Rien de professionnel ? Pas même une pub pour un hamburger ?(Rire.) Non, non. Je tournais avec des amis et après je montais le tout sur mon ordinateur. C’est comme ça que je me suis découvert une passion pour cet exercice, qui est sans doute ce que je préfère dans le processus créatif. J’ai mon matériau, tourné au préalable, et je construis réellement le film à ce moment-là.Vous avez tourné avec des cadors comme Steven Spielberg, Christopher Nolan, Rian Johnson ou Robert Rodriguez. Vous êtes-vous inspiré d’eux ou de certaines de leurs méthodes ?Chaque instant passé sur les plateaux des cinéastes que vous avez cités, m’a permis d’apprendre. Je ne sais pas si je me suis inspiré de leur technique – peut-être inconsciemment –, mais j’ai effectivement eu la chance de travailler avec ces génies. Ils font partie de ce que je suis, au même titre que toutes les personnes que j’ai rencontrées.Il paraît que votre ami Rian Johnson suivait de près votre projet...En fait, j’ai enchaîné trois tournages pendant l’écriture et la préparation de mon film : un avec Christopher (The Dark Knight Rises), un avec Rian (Looper) et un avec Steven (Lincoln). C’était très stimulant d’un point de vue créatif. Rian m’a en effet « accompagné » et m’a donné de précieux conseils.Ces trois visionnaires ont-ils des points communs ?Ce qui les rapproche, c’est de ne pas avoir de plan préétabli. Si vous avez quelque chose en tête, ça vous rassure peut-être mais, dans ce cas, vous restez dans les clous et vous n’êtes plus attentif aux éventuels changements. Alors que si vous n’avez pas d’intentions particulières, vous restez concentré sur les détails, vous n’êtes pas enfermé dans un cadre arrêté et vous pouvez faire évoluer votre projet en permanence. C’est sans doute ce que j’ai appris d’eux : rester à l’écoute et ne pas être dans le définitif.Vous jouez dans votre première réalisation. Est-ce parce que vous n’avez pas voulu vous consacrer exclusivement à la mise en scène ou parce que le film ne se serait pas fait si vous n’aviez pas interprété le rôle principal ?Non, il se serait de toute façon fait sans problème avec juste Scarlett en tête d’affiche. C’est vraiment parce que je trouvais ça plus simple. Je ne voulais pas perdre mon temps à expliquer ce que je voulais à un autre acteur. Je joue la comédie depuis que je suis enfant et je connaissais le rôle sur le bout des doigts, donc ça m’a paru naturel. Et puis j’avais besoin d’être avec les interprètes, de me sentir proche d’eux.Connaissiez-vous Scarlett Johansson avant de lui proposer le rôle ?Je n’avais pas cette chance. Mais quand j’ai commencé à écrire le script, j’ai très vite pensé à elle et, au fur et à mesure, elle est devenue indissociable du personnage que j’avais créé. Je lui ai donc envoyé le scénario et nous nous sommes rencontrés à Albuquerque, où elle tournait Avengers.Vous lui aviez exposé vos idées ?Oui. On s’était parlé au téléphone auparavant, on avait discuté du scénario et je savais qu’elle l’appréciait. Je me suis donc rendu à Albuquerque alors qu’elle était à peu près au milieu du tournage. Nous avons eu une longue conversation sur le pouvoir des médias et sur la façon qu’ils ont de dresser le portrait d’un homme ou d’une femme, d’inscrire des images dans l’inconscient collectif. On a également parlé d’amour, de sexe, et on s’est rendu compte qu’on était sur la même longueur d’onde. On s’est vraiment bien entendus. Scarlett est le prototype de la jolie fille que les médias réduisent à une image sexy alors que c’est une personne extrêmement intelligente, brillante. Elle m’a donc dit oui, et heureusement parce que sinon, je n’avais pas de plan B ! INTERVIEW MATHIEU LECERFBande-annonce de Don Jon, qui sortira mercredi :