Vous faites partie de ces acteurs britanniques qui ont tracé leur chemin à Hollywood sans pour autant jouer les Européens de service…Quand j'ai démarré à Hollywood, ça devait être à l'époque deGangs of New-York, un ami anglais m'a mis en garde : "depuis labritish invasionen musique, les Américains attendent de nous un exotisme raffiné, donc tu ne vas jouer que des Anglais exotiques et raffinés." Mais si vous vous en donnez la peine, ce n'est pas si difficile de vous fondre dans la culture des États-Unis et de jouer un quidam ordinaire, qu'il soit issu de l'Amérique profonde, d'une grande ville ou que sais-je. Par exemple, dans la sérieRay Donovan, j'ai campé un entraîneur de boxe qui, à mes yeux, est un yankee pur sucre. J'ai donc fait en sorte de faire oublier ma "britannicité", contrairement aux acteurs qui ont trusté des seconds rôles d'Européens comme Alan Rickman. Ce n'est pas si un grand exploit, au fond : on a quand même des affinités culturelles avec l'Amérique, c'est d'ailleurs pour ça que les comiques typiquement british comme Simon Pegg ont fait des cartons ces dernières années.Mais il n'y a pas des jours où votre britannicité prend subitement le dessus ?Oh, si. En fait, plus je vis à Los Angeles, plus je me sens étranger, même si j'y suis installé depuis des années. Récemment, il y a eu le débat autour d'American Sniper. Quand j'assiste à ce genre de trucs, je me rends compte à quel point je reste malgré tout européen. Tenez, je pense même avoir plus d'affinités avec la France qu'avec l'Amérique. Même en tant qu'acteur, je suis un social-démocrate : je vois les films comme des réponses collectives aux problèmes du monde réel. Alors que pour les Américains, le cinéma est resté un moyen de glorifier une individualité. American Sniper, c'est l'histoire classique du pionnier qui défend son ranch et ses intérêts. Mais mes personnages sont toujours les parties d'un grand tout, prêts à se battre pour la collectivité. Je conçois la vie comme ça, et pour cette raison je serai toujours un marginal en Amérique, malgré tout.Comment aborde-t-on le travail lorsqu'on revêt pour la première fois le rôle principal, comme c'est votre cas dans Une Belle fin ?De la même manière qu'on aborde un second rôle, ou un rôle de figuration, peu importe. Évidemment, il y a un côté baptême de l'air quand un film se fabrique pour la première fois sur votre nom. Mais une fois sur le plateau, la place de votre nom au générique importe peu, vous mettez la même énergie. Enfin, c'est mon cas… Il y a une dimension largement kafkaïenne dans le personnage : vous campez ce genre d'employé de bureau un peu lisse lancé dans une quête absurde… Je vois très bien ce que vous voulez dire sur Kafka, mais j'essaie de ne pas préparer les rôles trop intellectuellement. L'idée, c'est que John May reste un type ordinaire, un personnage universel sur qui on peut projeter absolument ce qu'on veut. Donc c'aurait été sans doute un piège de faire appel à trop de références dans l'écriture et dans l'interprétation."Le type ordinaire sur qui on peut projeter absolument ce qu'on veut", c'est devenu votre spécialité au fil des ans, non ?Vous savez, je me souviens d'une chose qu'on m'a dite quand j'étais encore un bleu. J'étais dans un studio de doublage à Londres, et un directeur artistique m'a toisé longuement : "toi, tu as un profil de M. Tout-le-monde, tu joueras les seconds couteaux toute ta carrière". Pour un débutant qui rêve de premiers rôles à Hollywood, c'est une douche froide. En un sens, sa prédiction était juste : j'interprète des types normaux, parfois pathologiquement ordinaires. Mais j'en suis fier, parce que ce profil m'a permis de m'insérer dans le paysage varié d'Hollywood, comme je vous le disais. Grâce à ce côté caméléon, on peut se retrouver aussi bien chez Michael Mann que chez Terrence Malick : que demande le peuple ?Et parfois, votre côté "homme de la rue" est mis à l'honneur, comme dans Be Happy de Mike Leigh.C'est vrai, Mike Leigh m'a ramené au premier plan en exploitant tout ce qui m'abonne habituellement au second : mon style effacé, mon physique lambda, mon côté "faire-valoir de Johnny Depp" - en plus, il m'a fait porter un bouc et une veste en jeans. Mais c'est pareil : quand je fais Be Happy, je ne travaille pas différemment que si je faisais une apparition dans une grosse machine hollywoodienne. Même si, évidemment, le boulot est différent avec lui, il y a cette rencontre du cinéma et des planches que j'aime beaucoup, cette manière d'improviser, mais de façon hyper méthodique et encadrée. À vous entendre, on dirait bien que vous avez appris à ne pas vous laisser étouffer par l'ego...Ne vous méprenez pas : comme tous les acteurs, j'ai un ego cyclopéen (rire). C'est simplement que l'ego ne doit pas rentrer en ligne de compte dans la manière de piger un personnages, ses motivations, ce qu'il a dans le ventre, etc. L'erreur typique pour un comédien, c'est d'éclabousser un personnage avec ses obsessions personnelles (la soif de réussir, les petites rivalités, etc). Si John May apparaît comme un type narcissique dans Une Belle fin, toute la logique du personnage s'effondre. C'est la principale leçon que je retiens de ce job : être acteur, c'est ranger son ego au placard. Yal SadatUne Belle fin d'Uberto Pasolini avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt, Karen Drury sort le 15 avril dans les salles L'histoire : Modeste fonctionnaire dans une banlieue de Londres, John May se passionne pour son travail. Quand une personne décède sans famille connue, c’est à lui de retrouver des proches. Malgré sa bonne volonté, il est toujours seul aux funérailles, à rédigerméticuleusement les éloges des disparus. Jusqu'au jour où atterrit sur son bureau un dossier qui va bouleverser sa vie : celui de Billy Stoke, son propre voisin.
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Eddie Marsan : "J'incarne des types pathologiquement ordinaires"
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