Dans Triple 9, John Hillcoat montre la frontière de plus en plus fine qui sépare les flics des gangsters, alors qu'ils s'affrontent avec des moyens de plus en plus effrayants.
Première : Le thème (des flics ripoux organisent le meurtre d'un des leurs pour faire diversion) pose un problème inédit : comment des flics peuvent-ils décider qui parmi eux doit être tué?
John Hillcoat : C’est ce qui m’a passionné dans le sujet, qui renvoie à ce qu’Hitchcock montrait dans Le rideau déchiré : tuer quelqu’un est très difficile. Pour contourner cet obstacle, les flics et les militaires subissent un entraînement qui relève presque du lavage de cerveau. En même temps, ils cultivent l’esprit de corps, ils développent une interdépendance très forte pour survivre : ne pas couvrir son partenaire, c'est risquer la mort. Nous avons voulu explorer cette ambiguïté qui rend leurs comportements imprévisibles. Je suis souvent frustré dans les films criminels quand je devine à l’avance comment les personnages vont choisir de se comporter.
Justement, le fait que les acteurs jouent sur leur registre habituel ne risquait-il pas de les rendre prévisibles?
Ca faisait partie de l’équation. Je voulais différents types de personnages, avec leur énergie propre et leurs qualités. Woody Harrelson par exemple, a un côté naturellement irrévérencieux et anarchiste. Chiwetel apporte une certaine puissance. Parfois je les ai choisi(e)s délibérément à contre emploi. Kate n’avait jamais joué une mafieuse auparavant, mais je savais qu’elle en était capable. Par-dessus tout, j'ai cherché à garder une vue d'ensemble, sans qu'on puisse préférer tel personnage à tel autre. C’est plus satisfaisant que la logique binaire du bon contre le méchant. Et dans cet univers obscur du thriller contemporain, beaucoup de limites sont franchies : des agents du FBI corrompus côtoient aussi bien d'anciens mercenaires que des criminels paramilitaires. Ca fait beaucoup de nuances de gris.
Vous avez beaucoup modifié le script ?
Je considère le script comme un document de travail évolutif, appelé à changer constamment. Au départ, le défi consistait à équilibrer le récit compte tenu de la dizaine de personnages principaux. Il fallait à la fois leur donner de l’épaisseur et les distinguer les uns des autres. Et puis nos recherches nous ont permis d’imaginer certaines séquences. La scène du raid au milieu du film, par exemple, ne figurait pas dans le script parce que nous ne savions pas encore que les policiers procédaient de cette façon. Enfin, les acteurs apportent certaines modifications. Ils doivent assimiler les mots et les personnalités et remettent beaucoup en question ce qui est écrit.
Avez-vous eu besoin de couper ?
C’est inévitable vu le nombre d’intrigues secondaires, mais pas tant que ça. Nous avons dû renoncer à quelques détails, et nous avons trouvé au montage une façon de procéder que j’assimile au jazz. J’en ai parlé aussi avec le compositeur Atticus Ross qui a développé une sonorité électronique moderne et urbaine.
Pourquoi avoir tourné à Atlanta?
Initialement, le film devait être situé à LA, mais le budget ne nous le permettait pas et nous avons dû trouver un autre endroit qui proposait des crédits d'impôts. Tourner à Atlanta s’est révélé un accident heureux, en contribuant à créer une identité unique et nouvelle. Le film noir est déjà très marqué avec des films comme French Connection sur la côte est, ou Heat à Los Angeles. Atlanta est relativement vierge et permet d’avoir une ville à l’image contemporaine. La plupart des gens qui y tournent pour faire des économies essaient de la faire ressembler à autre chose.
Qu’est-ce que vous avez trouvé de spécifique là-bas ?
A la différence de Los Angeles, où les gangs sont divisés et retranchés dans leurs territoires, Atlanta est plus mélangée et dynamique. Chez les trafiquants de drogue, les gangs afro-américains sont largement majoritaires, mais ils prennent très au sérieux les latinos, et évitent de faire trop de vagues. La police ne s’approche pas trop non plus.
Vous avez tourné dans des quartiers apparemment très tendus. Comment avez-vous négocié votre sécurité ?
Nous avions de très bons conseillers locaux pour nous aider dans nos repérages et nous documenter. Cela nous a permis de filmer dans certains quartiers réputés dangereux. Nous avons gagné l’estime des habitants en leur proposant du travail ou de la figuration. Du coup, parmi les figurants, d'anciens membres des gangs côtoyaient d'anciens policiers. Ce qui n’a pas empêché une fusillade d’éclater à proximité de l’équipe, et quelqu’un du quartier a été tué. Une autre fois, alors qu'il faisait des repérages, notre chef déco a vu débarquer d’un pick-up un groupe armé et il a dû déguerpir. C’était le début d'un règlement de comptes entre trafiquants de drogue.
Les membres de la MS 13 sont très convaincants. Acteurs ou gangsters ?
Certains étaient d’anciens membres de gangs, et certains de leurs tatouages sont vrais. Mais il n’était pas question d’avoir avec nous des gangsters en activité qui auraient exploité la situation à leur profit.
Triple 9 sort demain au cinéma. Bande-annonce :
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