James Cameron remet tout en jeu : La Voie de l'eau n'est pas seulement « la suite d'Avatar » et son accomplissement. C'est aussi un film où son auteur se met en scène comme jamais - pour mieux disparaître ?
« La voie de l’eau n’a ni début ni fin » nous précise t-on plusieurs fois au cours des 180 et quelques minutes d’Avatar : La Voie de l'eau. Pourtant le neuvième film (seulement) de James Cameron passe son temps à fermer des portes pour mieux en ouvrir d’autres - ce qui est par ailleurs logique pour une saga qui travaille à ce point la notion de frontières. Ici, au contraire, il y a un début et une fin à tout. D’abord le film s’impose immédiatement et dès son générique de fin comme un objet terminal : après lui le déluge - à Hollywood comme dans nos vie de spectateurs. Ce n’est pas complètement une surprise puisque depuis Titanic chaque film du cinéaste semble délibérément conçu comme un point de non-retour et
une retraite possible, soit par contrainte (« c’est un bide, adieu ») soit par panache (« c’est un hit, adieu »). Par chance, Cameron semble encore avoir envie d’en découdre. Par évidence, cela lui réclame toujours plus d’énergie et donc de temps (treize ans entre celui là le précédent, douze entre Avatar et Titanic). Bientôt un quart de siècle donc qu’il nous présente non pas des films « bigger than life », mais bien « bigger than movies ». L’avantage c’est qu’on aura cette fois à peine quelques mois pour gamberger face à cette aberration : à moins d’une tragédie industrielle qu’on n’ose espérer, Avatar 3, déjà tourné, devrait sortir dans les salles pour Noel 2024. Et après lui, quoi donc ?
Malgré cela ce deuxième volet, si massif, si conscient de sa propre démesure, ne peut se vivre que comme une consécration, la fin si ce n’est d’un monde, au moins d’un temps . Ça ne sera donc pas celle de la saga, ni même du grand spectacle hollywoodien. Pour son cinéaste en revanche, cette Voie de l’eau vient parachever quelque chose d’essentiel, une trilogie subaquatique, entamée en 89 avec Abyss, poursuivie avec Titanic, et qui recueille probablement ce qu’il y a de plus intime et de plus obsessionnel dans toute son oeuvre. Ce dernier volet en rejoue certaines des meilleures scènes (Papa Jake qui se prend pour Mary Elisabeth Mastrantonio et tente une apnée impossible dans les bras de son fiston, la plateforme qui se met à couler à pic avec les lumières qui s’éteignent… ) le tout avec une absence de pudeur qui laisse pantois. C’est peut être la première fois de toute sa carrière qu’on voit James Cameron « auteuriser » aussi ouvertement. Ce n’est jamais bon signe certes, surtout quand ça vient d’un artiste quasi-septuagénaire, sauf quand cela débouche sur des scènes à ce point phénoménales et incarnées. C’est une sorte de challenge que le cinéaste semble se lancer à lui-même tout en prenant ouvertement le spectateur à partie. Un geste d’un orgueil aussi démesuré que son film. C’est encore mieux, alors ? En tout cas à chaque photogramme ça essaie de l’être
Et tandis qu’Avatar 2 signe probablement les adieux de James Cameron au monde de l’océan, il tente par ailleurs d’ouvrir le spectacle hollywoodien vers un chemin hautement spirituel et finalement très « XXIeme siècle ». Quasi expérimental dans sa manière d’agencer les vignettes animistes et les longues séquences contemplatives, le film utilise des technologies de pointe pour mieux collecter des visions purement primitives (ce bébé na’vi en pleine séance d’apnée !). Elles finissent par déboucher sur une sorte d’« ultimate trip » au beau milieu d’un récif alien, et sur une prise de conscience qui dépasse le simple du cadre du cinéma. Au fond Avatar 2 semble vouloir refonder à lui tout seul la notion même de grand spectacle hollywoodien. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il sait montrer la voie. En voici le début, puisse t-elle n’avoir jamais de fin
Romain Thoral
De James Cameron. Avec Zoe Saldaña, Sigourney Weaver, Sam Worthington... Durée: 3h12. Sortie le 14 décembre 2022
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