Première
par Sylvestre Picard
Au fond, Avatar 2 n'aurait pas pu avoir un titre plus clair que ça. La Voie de l'eau : un titre qui sonne comme un best-seller de développement personnel prônant l'hydrothérapie comme remède à l'eczéma, ou bien comme un manuel d'écoterrorisme mettant les océans au cœur de la bataille pour l'avenir de la planète. Pas la peine, d'ailleurs, de faire semblant de découvrir l'obsession de James Cameron pour les flots bleus. Entre Titanic et Avatar, il partait explorer la vraie carcasse du paquebot ; entre Avatar et Avatar 2, il devenait « l'homme le plus profond du monde » en touchant le fond de la fosse des Mariannes (dix kilomètres de profondeur, quand même). C'est cela que La Voie de l'eau met en scène. La recherche d'un cinéaste du sommet et de la perfection, de la performance ultime -et puis sa dissolution dans l'action pour que ne seul reste le cinéma.
Ce qui frappe, au fond, c'est à quel point Avatar 2 se place totalement en-dehors du modèle des blockbusters Marvel en refusant les connexions, les caméos, les clins d'oeil méta, bref tout le storytelling pop des années 2010 qui ne veut fonctionner que dans la connivence et le world-building -la construction d'un univers capable d'être déployé sur tous les supports. Avatar 2 ne se déploie en fait qu'au cinéma, au moment de sa projection, en HFR et en 3D tant le film compte sur son support pour l'immersion. Mais ce n'est pas qu'une simple prouesse technique. Oh, elle est là, présente à chaque plan, mais l'immersion est aussi celle de la narration, et c'est là que le film surprend en mettant de côté Jake et Neytiri, au profit de leurs enfants. Le film commence comme un western, puis bifurque en odyssée aquatique, puis en véritable documentaire IMAX sur la chasse à la baleine-alien, avant de précipiter tout ça dans un dernier acte fabuleux qui croisent tous les enjeux sans jamais se perdre.
Grâce à l'écart de temps entre l'Avatar de 2009 et La Voie de l'eau, véritablement pris en compte dans la chronologie dégétique, le film est en fin de compte une vraie odyssée adolescente de l'affranchissement, qui rappelle celle de John Connor dans Terminator 2 : Le Jugement dernier. Et comme on est chez Cameron, le vrai héros est le nouveau colonel Quaritch (Stephen Lang), dont la mémoire a été clonée dans le corps d'un avatar na'vi, et qui fait figure de méchant -mais c'est plus compliqué que ça, et en même temps plus simple, et il suffit de le voir pour le comprendre et le croire : tout s'explique par l'action. Si on sort d'Avatar 2 les jambes en coton et la tête pleine d'images affolantes (une seule envie nous animait en sortie de projo : raconter les mille et une péripéties démentes du film comme des gosses), c'est que Cameron a réussi à résoudre du paradoxe de la figure de l'auteur, qui est suffisamment surpuissante pour nourrir la vision d'Avatar 2, et aussi pour s'effacer complètement -se dissoudre dans la flotte, être partout sans qu'on le voie, cinéaste sans cesse tenté d'en finir avec le cinéma après chaque film. Ça pourrait être celui-là.
La tentation est justement forte de voir Avatar 2 comme un ultime film, en forme de plaidoyer réac : un papa, une maman, des enfants, la famille est une forteresse... Cameron joue pourtant habilement avec la symbolique de ces termes, puisque Jake est devenu un papa ultra directif qui considère ses mômes comme des mini-soldats devant lui obéir au doigt et à l'oeil. Un père en forme de connard, comme un écho conscient du réalisateur à son rôle de « asshole dad » envers ses propres enfants, qu'il a candidement avoué dans une interview de Hollywood Reporter, un rôle voué à disparaître face à la génération d'après. Vraiment, Cameron s'est rarement autant mis en scène dans un film. Et quand il le fait, c'est l'apparition d'un robot en métal liquide, c'est un iceberg qui percute le Titanic, c'est tout le cinéma grand public qui subit un choc irréversible. La Voie de l'eau, effectivement : clair comme de l'eau de roche, clair comme du cinéma.