Le film avec Ethan Hawke, Patricia Arquette et Ellar Coltrane est rediffusé ce jeudi sur 6ter.
Tourné entre 2001 et 2013, Boyhood raconte la vie d’un gamin du Texas que l’on voit grandir sous nos yeux, de l’âge de 6 ans à sa majorité. Le projet était casse-gueule, le résultat est miraculeux. A l’occasion de la sortie du film, en 2014, le réalisateur Richard Linklater nous racontait comment il était venu à bout du film le plus ambitieux de sa carrière.
Avoir une bonne raison de le faire
"Je voulais réaliser un film sur l’enfance. Mais je souhaitais aborder le sujet dans sa globalité et je n’arrivais pas à me focaliser sur un âge précis, comme Truffaut par exemple l’avait fait dans Les 400 coups. Or, c’est compliqué de dire à un enfant de 7 ans : ‘Bon, la semaine prochaine, on va tourner les scènes où tu as 13 ans’. (Rires) C’est tout simplement impossible ! Puis un jour, j’ai eu une illumination : ‘Pourquoi ne pas tourner quelques jours chaque année sur une très longue période de temps ?’ Plusieurs documentaires ont déjà eu recours à ce procédé, mais je ne crois pas que ça avait déjà été tenté dans le cadre d’une fiction."
Caster le bon acteur
"J’ai rencontré plein de gamins pour le rôle de Mason. J’ai choisi Ellar Coltrane parce qu’il était intrigant, mystérieux. Il avait des centres d’intérêt originaux pour un garçon de son âge. Ses parents aussi ont joué un rôle décisif. Ils sont tous les deux artistes, ils étaient très séduits par le projet, et j’avais besoin d’être sûr qu’ils me soutiendraient jusqu’au bout, qu’ils ne changeraient pas d’avis en cours de route. Légalement, on n’a de toute façon pas le droit de faire signer des contrats aussi longs à des enfants acteurs. Quand Ellar s’est embarqué dans l’aventure, il avait six ans, ça allait lui prendre douze ans de sa vie, soit le double de son âge. C’était totalement abstrait pour lui. Comme si moi je m’étais lancé dans un tournage long de 80 ans. (Rires)"
S’inspirer de l’actualité
"Je n’avais pas de scénario précis, plutôt un schéma global en tête, avec les grands événements qui devaient rythmer le film : les changements d’école, le déménagement, les divorces de la mère. J’ai aussi su très tôt quel serait le dernier plan. Mais l’idée était surtout de se laisser influencer par ce qui se passait dans le monde au moment où l’on tournait. La guerre d’Irak, l’élection d’Obama. Ce sont des événements décisifs quand tu grandis, même si tu ne les comprends qu’en partie. Le film essaye de capturer ce moment où tu arrêtes de penser comme tes parents et où tu t’affirmes en tant qu’individu. Et pour ça, il fallait que le monde soit constamment en arrière-plan. La culture, la politique, les changements technologiques. Boyhood est un film d’époque. Mais un film d’époque au temps présent."
Garder ça pour soi
"Au tout début, je voulais que le tournage soit confidentiel. Au cas où on se plante. Mais au bout d’un an ou deux, le secret a été éventé et le titre du film s’est retrouvé sur IMDb, avec une date de sortie annoncée pour 2014 ou 2015. Ça m’a rendu un peu parano, parce que je vivais toute cette aventure comme un scientifique sur le point de faire une découverte majeure. J’avais vraiment peur qu’un confrère vole mon idée et publie les résultats avant moi ! (Rires) Aujourd’hui, ça y est, le film a été montré au public. J’ai un peu de mal à réaliser. On a tourné les dernières scènes en octobre 2013, c’est donc la première fois depuis 12 ans que je passe une année entière sans bosser sur Boyhood. J’ai comme l’impression qu’il va me falloir un petit moment pour tourner la page."
La jouer serré
"Quand on expose le concept de Boyhood, tout le monde trouve ça formidable. Mais d’un point de vue économique, un film comme ça n’a aucune raison d’être. Allez expliquer à un financier ou un producteur qu’il ne récupèrera ses sous que dans 15 ans. Le budget était serré, c’était vraiment une petite prod indépendante, et on devait chaque année jongler avec les emplois du temps de Patricia Arquette et Ethan Hawke afin qu’ils puissent se libérer pendant les 3 ou 4 jours du tournage. Mais d’une certaine façon, ça m’a aussi permis de tourner dans des conditions idéales. Tous les ans, je mettais en boîte quelque chose comme 16 ou 17 minutes de film, je les montais, les additionnais à ce qui avait déjà été tourné, puis j’avais encore un an devant moi pour réfléchir à la direction que pouvait emprunter l’histoire, discuter avec les acteurs, laisser leur vie à eux infuser le script. Le cinéma ne permet pas ça, d’habitude. C’était un luxe incroyable."
Accepter de perdre le contrôle
"Tous les réalisateurs sont des control-freaks. Nous essayons tous de plier le monde à nos désirs. Là, j’étais obligé d’admettre que je n’allais pas pouvoir tout maîtriser, que des obstacles imprévisibles allaient se dresser sur mon chemin. Exactement comme dans la vie. Il faut avoir une nature optimiste pour se lancer dans un projet pareil. Et je dois dire que tout s’est miraculeusement bien passé. Les mêmes techniciens et les mêmes acteurs m’ont suivi pendant douze ans avec un enthousiasme inébranlable. Il y a juste eu une fois où ma fille Lorelei (qui joue la sœur du héros du film) m’a dit qu’elle préférerait que son personnage meure... (Rires) Mais c’est surtout parce qu’elle n’aimait pas les fringues qu’elle devait porter ce jour-là. C’était plus une chamaillerie entre un père et sa fille qu’un conflit entre un metteur en scène et son actrice."
La filmographie commentée de Richard Linklater
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