Sans filtre
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Tous les jours, entre le film, l'interview et le fait du jour, le point à chaud en direct du 75e festival de Cannes.

L'interview du jour : Ruben Oslund

Cinq ans après sa Palme d’Or pour The Square, le suédois Ruben Ostlünd poursuit son exploration ironique du genre humain. Sans filtre présenté en compétition, embarque des personnages friqués dans une croisière de luxe.

Etes-vous heureux d’être au Festival de Cannes qui pourrait être un décor de votre film avec sa débauche d’argent, d’apparences, de faux-semblants... ?

Ruben Ostlünd : Bien-sûr ! Tout le monde rêve secrètement de vivre dans le luxe. Plus sérieusement, j’adore critiquer le groupe social auquel j’appartiens. Or, ici à Cannes, ce monde du cinéma, c’est le mien. L’idée avec mes films n’est pas de me positionner en surplomb, ni de pointer du doigt des individus particuliers mais d’avoir une vue d’ensemble. Pour Sans filtre, je suis partie d’une histoire qui m’est arrivée ici même, il y a quelques années. De retour du restaurant avec ma femme, nous avons commencé à nous disputer au sujet de l’addition, à l’image du couple au début du film. Vous voyez-bien que je ne suis pas un cynique qui regarde ses semblables avec condescendance. Ils me ressemblent un peu tous.

L’action de The Square se passait principalement dans un musée d’art contemporain. Dans Sans filtre, on se retrouve embarqué dans une croisière de luxe. Le décor change, pas le propos...

.. Si je vous dis que le prochain se passe dans un vol long-courrier, vous allez dire que je fais sans arrêt le même film et vous aurez raison. Contrairement à ce que vous pensez, j’ai confiance en l’espèce humaine. Elle est capable de faire de grandes choses en commun. En tant que cinéaste, j’adore montrer notre part monstrueuse.

Ruben Ostlund
Copyright Bac Films

La vidéo du jour : Vicky Krieps et Emily Atef reviennent sur Plus que jamais

Hélène et Mathieu vivent en couple depuis de nombreuses années. Mais lorsqu'elle se découvre malade, Hélène décide de partir pour trouver la paix et éprouver leur amour... Ce drame intime porté par Vicky Krieps marque la dernière apparition à l'écran de Gaspard Ulliel. Les deux femmes reviennent sur ce film et le comédien disparu en début d'année.


Le film du jour : RMN de Cristian Mungiu

De Cannes, Cristian Mungiu n’est jamais reparti bredouille. Palme d’Or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours, prix du scénario pour Au- delà des collines en 2012 et prix de la mise en scène pour Baccalauréat en 2017. Jamais trois sans quatre ? Impossible évidemment de délivrer un pronostic certain à ce stade de la compétition. Mais RMN a, à l’évidence, tout pour y parvenir avec ce tour de force d’encapsuler à peine peu plus de deux heures toutes les problématiques communes à nos sociétés occidentales (chômage, précarité grandissantes, défaillance ou plutôt dévoiement du modèle européen et de son système d’aides, peur et par ricochet haine de l’étranger…) qui en rendent le quotidien de plus irrespirable. Le tout dans un geste de cinéma d’une limpidité folle où naturalisme et onirisme dialoguent à merveille. Son récit se déploie dans un village multiethnique de Transylvanie où l’embauche dans une usine de fabrication industrielle de pain de travailleurs venus du Sri Lanka (dans des postes que ses locaux refusent d’occuper, préférant partir gagner plus… à l’étranger) va mettre le feu aux poudres et faire exploser les frustrations, les haines de classe, de religion et de race enfouies depuis des années. Avec une scène aussi symbolique qu’impressionnante : 17 minutes de plan fixe au cœur d’une réunion municipale visant à décider si oui non les Sri- Lankais doivent être chassés du village. Comme Ruben Östlund avec Sans filtre, présenté en compétition quelques heures plus tôt, Mungiu entreprend un voyage au cœur de l’inhumanité. Mais nulle trace ici de cynisme rigolard, ni de regard méprisant sur l’ensemble de ses personnages. Mungiu explore l’absurdité des situations, décrypte les à peu près et les rumeurs à la base de cette haine de l’étranger, alors qu’autour de ce village et ses habitants laissant libre cours à leur instinct le plus bassement animal, traînent des ours à qui le cinéaste laisse le dernier mot lors d’un plan final aussi majestueux que propice à toutes les interprétations. Une fin ouverte pour une œuvre impressionnante.

 

R.M.N de Cristian Mungiu
Le Pacte

L’émotion du jour : Alice Winocour en ouverture de la projection de Revoir Paris

Elle est montée sur scène avec la quasi-totalité de son casting. Et une feuille à la main. Avant de présenter son quatrième long métrage Revoir Paris ce samedi soir à la Quinzaine des Réalisateurs, Alice Winocour prend la parole. Mais très vite, sa voix se voile et sa main tenant cette feuille se met à trembler. Revoir Paris raconte le chemin de croix vécu par les survivants d’un attentat pour retrouver la mémoire précise de la tragédie, seul moyen pour reprendre le cours de leurs vies. Mais ce film, comme elle l’explique en parvenant à aller au bout de ces mots qu’elle avait écrits (sans quoi elle aurait été sans doute incapable de les prononcer), Alice Winocour le dédie à son frère, présent au concert des Eagles of Death Metal au Bataclan le soir du 13 novembre 1995. Lui aussi s’en est sorti vivant, mais pas indemne. L’émotion qui la submerge à ce moment-là donne le la de ce qui va suivre. Un film déchirant et digne, puissamment organique dans la manière de raconter ces reconstructions mentales autant que physiques. Une heure 45 plus tard, une longue, très longue standing ovation saluera l’ultime image de Revoir Paris, sa réalisatrice et ses interprètes, les étincelants Virginie Efira et Benoît Magimel en tête. L’émotion avait changé de camp. Elle s’était emparée de la salle.

Revoir Paris
Pathé Distribution