Un projet à 120 millions de dollars d'une naïveté confondante sur l'état de l'Amérique et un plaidoyer pour sauver la civilisation d'elle-même. Complètement fou, pour le meilleur et surtout pour le pire.
La voilà enfin, l'arlésienne de Francis Ford Ford Coppola, ce film rêvé né dans son esprit il y a près de 40 ans, et pour lequel il a hypothéqué ses célèbres vignes à hauteur du budget colossal de 120 millions de dollars. Le prix à payer pour s'offrir le luxe d'une liberté totale, loin des executives des studios hollywoodiens. L'histoire de Megalopolis se déroule à New Rome, copie conforme d'un New York vaguement futuriste, où s'écharpent César Catilina (Adam Driver), un architecte de génie capable d'arrêter le temps à l'envi et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito) : l'un veut faire évoluer sa ville vers une utopie écolo, l'autre reste éperdument attaché au statu quo. Julia (Nathalie Emmanuel), fille de Cicero et amoureuse de César, est tiraillée entre les visions opposées des deux hommes de sa vie.
Bon, forcément, raconté comme ça, ça n'a l'air de rien. Mais dans la tête de Coppola, ce qui joue ici n'est rien de moins que la potentielle fin de la civilisation, une décadence de l'empire américain qu'il compare avec une lourdeur à peine croyable avec la chute de l'empire romain (les noms des personnages et de la ville évidemment, mais aussi des citations de Marc Aurèle en pagaille, des séquences de drogue et de sexe débridé, une course de chars dans Madison Square Garden et même une scène dans des bains publics avec Driver et Jon Voight en toges).
Plein comme un oeuf
En résulte un long-métrage volontairement baroque et plein comme un œuf, qui radote autant qu'il passe du coq à l'âne sans autre forme de procès : tour à tour péplum, comédie, film politique ou d'anticipation... La coupe est vite pleine et pourtant Coppola, généreux démiurge, se fait toujours un plaisir de nous remettre une petite rasade. Mais le cinéaste de 85 ans a le grand mérite de tout assumer, la théâtralité et les emprunts au cabaret comme le mélange de premier et de second degré (Aubrey Plaza et Shia LaBeouf, hilarants, mais qui semblent jouer dans un tout autre film).
Un authentique bazar à ciel ouvert, bourré ras-la-gueule d'effets spéciaux numériques au service de plans souvent à la limite de la faute de goût (comme si les potards de Coup de coeur avaient été poussés à fond). Une esthétique proche du style camp dont Baz Luhrmann aurait pu se revendiquer, qui n'empêche pas à quelques visions splendides de surgir ça et là, notamment quand l'architecture contemporaine se confond avec des bâtiments antiques. Mais timing cannois oblige, la comparaison avec la virtuosité de George Miller (autre réalisateur d'un certain âge) sur son rutilant Furiosa fait évidemment très mal.
Insaisissable, Megalopolis est un drôle d'objet dont la naïveté confondante du propos se résume à opposer les créateurs/artistes - ici capables d'arrêter le cour du temps et donc possiblement d'agir sur l'avenir des civilisations - à la froideur des bureaucrates corrompus incapables de rêver assez grand pour sauver l'humanité. Le discours, manichéen et rabâché ad nauseam, entraîne le film vers sa propre chute.
Megalopolis, de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel... Durée : 2 h 18. Le film n'a pour l'instant pas de date de sortie.
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