Comment filmer la relation tendue entre les français et la police ? Le journaliste David Dufresne nous dévoile sa méthode pour la sortie du documentaire Un pays qui se tient sage.
Lanceur d’alerte, journaliste, romancier et réalisateur, David Dufresne signe son premier documentaire pour le cinéma avec Un pays qui se tient sage, chronique d’une France secouée par des affrontements de plus en plus violents entre les forces de l’ordre et la population.
En rebondissant sur une phrase du président de la République
Ancien reporter pour Libération et membre fondateur de Mediapart, David Dufresne est tout à la fois journaliste, écrivain et réalisateur. Et s’il a travaillé sur différents sujets (la téléréalité, les pirates du net, Jacques Brel…), c’est comme documentariste et lanceur d’alerte sur les questions liées à la police et aux libertés publiques qu’il s’est fait connaître, notamment en relayant les témoignages vidéo de blessés pendant le mouvement des Gilets jaunes sur son compte Twitter avec la phrase récurrente "Allo @Place_Beauvau – c’est pour un signalement". Il a ainsi décidé de prolonger ce travail avec Un pays qui se tient sage en réaction à une phrase du président de la République. "Jamais, depuis cinquante ans, la question du rôle de la police n’a été aussi discutée", explique-t-il. "Elle l’est autour d’une expression, 'violence policière', avec un côté impropre indéniable, mais que tout le monde comprend. Alors quand Emmanuel Macron dit : "Ne parlez pas de violences ou de répressions policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit", forcément ça me donne envie d’en faire un film. Parce que si le Président qui commande les policiers nous dit ce dont on a le droit ou non de parler, on se doit de réagir."
Un pays qui se tient sage, le documentaire événement de David Dufresne [Critique]En choisissant le cinéma plutôt que la télévision
Pour la première fois, le travail de David Dufresne passera par les salles de cinéma. "Je voyais bien que toutes ces images – de violence et de souffrance – avec lesquelles je vis depuis des mois sur mon ordinateur étaient plus grandes que les écrans sur lesquels elles circulaient. Je tenais à leur donner une valeur cinématographique." D’autant plus que pour Dufresne, cinéma rime avec liberté de ton et de forme. "Je n’aurais pas pu avoir la même liberté à la télévision où le diffuseur a droit de vie et de mort sur votre projet." Là, il a pu s’appuyer sur le producteur Bertrand Faivre (Ni juge ni soumise) qui a avancé l’argent du financement avant toute aide publique. "Mon dossier ne faisait que trois pages, mais Bertrand m’a fait confiance. J’ai pu faire le film que je voulais."
En trouvant une forme singulière
Ce film, il met longtemps à le chercher. "Je savais que tant que je n’avais pas trouvé sa forme, il n’existait pas." Au départ, il part d’ailleurs sur un autre sujet, la transformation par les réseaux sociaux de la démocratie, avant de revenir sur la question de la police. Avec cette idée toute simple et pourtant imparable : projeter les images de ces affrontements entre forces de l’ordre et manifestants et faire dialoguer différents intervenants devant elles. "Je voulais quelque chose de brut et de minimal. Pas de synthèse expliquant qui est qui, pas de voix off, pas de musique. Avec cette idée d’une image écrasante. Pas uniquement par choix esthétique. Mais avec une morale : expliquer que, contrairement à l’adage, ces images ne parlent pas d’elles-mêmes. On les a vues en boucle sur les chaînes d’info, mais je voulais les recontextualiser."
En provoquant des discussions
On n’entend jamais Dufresne dans son film, il laisse les autres échanger. "La discussion permet de sortir des lignes droites dans lesquelles chaque camp évolue." Et il insiste sur l’urgence d’un tel débat entre personnalités (écrivain, routier, sociologue, syndicaliste, prof, travailleuse sociale, mère au foyer, journaliste, plombier, ethnographe, gendarme…) aux avis divergents. "On est au bord d’une certaine rupture. Il faut qu’on discute avant de passer de l’autre côté." L’idée s’est précisée en regardant différents épisodes de l’émission culte Cinéma Cinémas. "Au-delà du casting des interviewés, il y avait, dans ces échanges, cette idée de laisser les silences, les hésitations, les réflexions à voix haute. C’est ce que j’ai cherché à obtenir dans Un pays qui se tient sage."
En mêlant subjectivité et objectivité
Évidemment, David Dufresne ne part pas de nulle part. Ses opinions sont connues de tous. Ce qui lui a valu des refus parmi les intervenants du côté de la police. "Au final, sans compter les gens qui prennent position en faveur de l’ordre, un général de gendarmerie et trois policiers sont venus échanger. Mais l’institution policière, elle, a refusé le débat. Or la politique de la chaise vide quand on est un service public – et quel service public ! – constitue un vrai problème. Plus il y a des attestations de brutalités policières, plus il y a un corps policier qui se rétracte et refuse la critique." Pour autant, Un pays qui se tient sage ne tombe pas dans l’écueil du film à charge. "Il existe un nuancier de paroles, dont certaines que je ne partage pas, bien sûr. Mais comme le dit la professeure de droit public Monique Chemillier-Gendreau : 'La démocratie, c’est le dissensus.'" Dufresne refuse tout autant l’étiquette de film militant ou résistant. "Je me méfie beaucoup de ces termes-là. L’idée est d’amener de la complexité sur des situations souvent traitées en mode binaire. Et que le film infuse chez les gens."
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