Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS ★★★☆☆
De Sam Raimi
L’essentiel
Sam Raimi a bien réussi à imprimer sa patte au nouveau superfilm du MCU, même s‘il ressemble à l’arrivée à un super gros épisode de Rick et Morty.
Sam Raimi est comme nous. Il trouve aussi que devoir réaliser un film du Marvel Cinematic Universe, c’est dire non au statut d’auteur et devoir se couler dans un moule. C’est plutôt honnête et une conception du rôle du réalisateur tout à fait valable. Alors est-ce que Doctor Strange 2 est un film de Sam Raimi ? Bonne nouvelle : oui, et on joue avec un certain plaisir au bingo samraimien devant Multiverse of Madness. Et l'autre bonne nouvelle, c’est le refus du fan service tant redouté tant après No Way Home et le retour des Spider-Man précédents
Mais voilà, le style de Raimi doit suivre les "règles du jeu". Les quelques séquences surexcitantes sont introduites par d’interminables tunnels de dialogues en champ-contre-champ où se déploie le folklore nanar du MCU jusqu’à l’épuisement. De fait, le film porte surtout la marque de son scénariste Michael Waldron, l’un des piliers d’écriture de Rick et Morty : comme un épisode typique de la série, le film éclate sa storyline en plusieurs faisceaux à travers plusieurs niveaux de réalité avant de les réunir dans un grand final faisant la somme de tous ces éléments avec des trouvailles d’écriture plus ou moins inspirées.
Mais comme Raimi n’est jamais aussi bon que lorsqu’il suit une trajectoire cinétiquement et cinématographiquement ferme, il a réussi, dans ce Doctor Strange partagé entre mouvement et immobilité, à trouver son espace.
Sylvestre Picard
Lire la critique en intégralitéPREMIERE A ADORE
LES PASSAGERS DE LA NUIT ★★★★☆
De Mikhaël Hers
Le double territoire du nouveau film de Mikhaël Hers (Amanda…) s’incarne d’emblée dans un plan magnifiquement expressif : le visage d’une jeune fille se superpose à un plan du métro parisien sur lequel clignotent des loupiottes comme autant de destinations vers un inconnu forcément prometteur. Paris. Les années 80. Deux boussoles, deux fantasmes. D’un côté une ville-cinéma usée jusqu’à l’os, de l’autre une époque pas si lointaine, extirpée des limbes pour ne garder à priori que la beauté sauvage et vaguement extatique.
La magie de ce film-là tient tout entière dans cette façon presque indicible de faire fusionner ses personnages avec le cadre dans lequel ils s’inscrivent. Et de fait Elisabeth (Charlotte Gainsbourg) est elle-même à un croisement. Fraîchement divorcée, elle s’occupe de ses deux ados qui forcément lui échappent et s’accroche à une jeune SDF (merveilleuse Noée Abita) arrivée presque par hasard. Dans cet entre-deux, la ville mais ne promet rien. Elisabeth travaille la nuit au standard d’une radio pour le compte d’une animatrice à la voix suave (Emmanuelle Béart) dépositaire de sa propre solitude et celles des autres. Seule donc mais jamais tout à fait. Les Passagers de la nuit, est un film merveilleux, dont le ré-enchantement qu’il promet n’a rien d’illusoire puisque tous ici veulent y croire.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéVARSOVIE 83, UNE AFFFAIRE D’ETAT ★★★★☆
De Jan P. Matuszynski
Varsovie, 1983. Une chambre d’ado dans laquelle respire un désir farouche d’émancipation rock’n’roll. Le plan encadre deux jeunes garçons, pris dans un moment de parfaite communion. Puis la caméra se déplace dans l’exiguïté d’un petit appartement où l’on découvre une faune intello et subversive s’activant à refaire le monde. Barbara, mère d’un des deux ados, milite ardemment pour une liberté confisquée. A l’extérieur, la République populaire de Pologne du général Jaruzelski, offre un horizon figé. Les premiers feux de Solidarność crispe les autorités. Nos deux ados, détachés de ce réel, quittent le petit meublé pour goûter l’air d’une ville qui pourrait bien exulter avec eux. Sauf que deux flics profitent d’un brutal contrôle d’identité pour ramener ces deux électrons trop libres, vers un tout autre intérieur : un commissariat où l’un deux va se faire tabasser à mort par une poignée de policiers déchaînés.
Ainsi débute, le film et avec lui ce que la presse de l’époque a appelé « l’affaire Przemyk » dans laquelle un meurtre d’état fut maquillé en « simple » accident. Dès les premières séquences, la mise en scène use d’une fluidité remarquable pour décrire un espace qui n’a pourtant que son cloisonnement à offrir. Cette apparente dualité n’entend pas exprimer frontalement une contradiction mais à créer du malaise, un inconfort, comme si des réalités différentes cherchaient à tout prix à imposer une synchronisation. Cette sombre histoire ne parle évidemment que de ça. Et Varsovie 83 se révèle un formidable récit d’enfermement, un thriller d’espionnage qui cherche moins à épater la galerie à grand renfort de figures imposées qu’à montrer les rouages d'une mécanique souterraine qui prend peu à peu possession de votre rapport au monde. Un choc.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéLE ROI CERF ★★★★☆
De Masashi Ando
Comment résumer Le Roi Cerf ? Pas évident, tant le film est d’une densité digne d’une série de romans de fantasy, encapsulée dans un film de moins de deux heures… Allez, on essaie : sur fond de conflit séculaire entre deux royaumes imaginaires, un ancien guerrier devenu esclave adopte et protège une petite fille. Pendant ce temps, un prince guérisseur essaye de sauver son peuple d’une contagion maléfique. Si les ressemblances avec Princesse Mononoké sautent aux, Le Roi Cerf se démarque très fortement du Ghibli par son choix d’une durée explicitement longue : là où le Miyazaki était une Iliade -ramassée, colérique- Le Roi Cerf tient plus de L’Odyssée. Il ne manque pas de moments carrément épiques mais sait surtout les préparer à bon escient, au profit d’un récit pacifiste où il importe plus de soigner que de détruire. Au sein du genre fantasy où c’est souvent la course à qui sera le plus cynique, ce discours optimiste contribue à rendre Le Roi Cerf encore plus précieux.
Sylvestre Picard
LIMBO ★★★★☆
De Ben Sharrock
Il y a des sujets tellement tragiques et inscrits dans la réalité du moment que les cinéastes peinent à les transcender. La question des réfugiés fuyant leurs pays en guerre est l’un de ceux- là. Jérémie Elkaïm a su s’en emparer avec Ils sont vivants en passant par le prisme de la passion sensuelle entre un clandestin iranien et la veuve d’un flic FN. Et, pour son deuxième long Ben Sharrock réussit, lui aussi, à trouver un ton singulier pour aborder ce même thème et des drames (in)humains qu’elle engendre. Celui de la loufoquerie ubuesque. L’action de Limbo se situe sur une île de pêcheurs en Ecosse où une poignée de demandeurs d’asile attendent de connaître leur sort. Parmi eux, Omar, un jeune musicien syrien hanté par la figure de son frère qui, lui, a choisi de rester au pays combattre. Un personnage taiseux à travers lequel on vit ce récit où Sharrock a donc décidé de mettre en avant l’absurdité des situations. Limbo mêle brillamment le cinéma social à la Loach et l’humour pince sans- rire poétique de Kaurismäki, avec des personnages qu’on pourrait croire échappés d’un film des Coen. Et c’est par ce cocktail aussi inattendu que détonnant que Sharrock fait entendre sa propre voix. Aussi à l’aise dans les rires que dans les larmes. Dans le réalisme que dans l’onirisme.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
ANATOMY OF TIME ★★★☆☆
De Jakrawal Nilthamrong
Tout film est une affaire de temps recomposé. Certains plus que d’autres. Anatomy of time porte cette idée en étendard. On voit à l’image une horloge s’arrêter poussant la métaphore un peu partout. Dès lors le télescopage de deux époques peut paraître un brun mécanique. Sauf qu’il y a aussi ces états de vague somnolence qui emportent les protagonistes vers des cieux incertains. Ici, une femme se remémore son passé intime sur fond de tensions entre rebelles communistes et soldats sous la coupe d’un régime dictatorial dans les années soixante. Le spectateur se laisse (trop) doucement porter par ces ravages du temps. « C’est vrai qu’on doit tous payer pour nos péchés ? » Le film répond par l’affirmative mais ose une ultime dérobade, car celui qui dit payer – un mari violent - est plongé dans un état entre la vie et la mort. Le temps non seulement pourrit tout mais il confisque aussi un morceau de notre mémoire.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
DETROITERS ★★☆☆☆
De Andrei Schtakleff
Andrei Schtakleff entreprend de raconter Detroit - ex- capitale mythique de l’automobile et berceau de la Motown qui, crise après crise, n’en finit pas de mourir - en allant à la rencontre de ses habitants et leur demandant de raconter leurs vies présentes et passé pour tenter d’envisager un futur moins rude qu’il n’y paraît de prime abord. Le geste est noble, jamais alourdi par une voix- off explicative. Les témoignages sont forts et souvent poignants. Mais Detroiters apparaît cependant rapidement comme un documentaire de plus sur cette Amérique des laissés- pour- compte, sans singularité saillante dans son récit comme dans sa mise en images. Qu’apporte t’il de plus par exemple que le remarquable City of dreams où le réalisateur Steve Faigenbaum revenait à Detroit après 25 ans d’absence ? Rien ou presque. Et le fait que ce film de 2014 et un autre documentaire sorti 8 ans plus tard racontent peu ou prou la même chose se révèle symbolique d’une ville qui n’arrive pas à se projeter dans un avenir serein et ne cesse de s’enfoncer dans la noirceur comme dans des sables mouvants.
Thierry Cheze
L’ETE L’ETERNITE ★★☆☆☆
De Emilie Aussel
Un été marseillais. Une bande d’ados complices. Tout est solaire, joyeux et voluptueux dans l’entame de ce premier long. Jusqu’au jour où l’une des membres de la bande meurt soudainement. Emilie Aussel raconte le traumatisme du moment puis le temps du douloureux deuil à faire quand on comprend que la vie qu’on pensait avoir devant soi peut à tout moment se briser net. Quand on pleure la disparue autant qu’on lui en veut. Film de sensations plus que de mots, L’Eté éternité (servi par une bande de jeunes comédiens au charisme indispensable à ce parti pris, Agathe Talrich et Matthieu Lucci en tête) convainc dans ses silences, ses jeux de regard. Moins quand, au fil de la reconstruction, les mots reviennent au centre du jeu jusqu’à une catharsis dont la théâtralité abimer la justesse du portrait tout en subtilité de l’adolescence que la réalisatrice avait su développer. Un geste inabouti.
Thierry Cheze
IL BUCO ★★☆☆☆
De Michelangelo Frammartino
En 1961, un groupe de spéléologues s’avance dans les tréfonds d’une grotte inexplorée en Calabre. Entre documentaire et fiction, Michelangelo Frammartino reconstitue cette expédition au fil d’un film sensoriel qui ambitionne de faire ressentir aux spectateurs ce que vivent ces explorateurs comme la nature qui les entoure à l’air libre ou au fil de leur plongée souterraine. « Même inscrit dans le projet, l'ennui reste l'ennui. Pourtant la poésie l'emporte parfois via des images splendides et incongrues” écrivait Première au sujet de son précédent film, Le Quattro volte, autre contemplation contemplative des paysages calabrais. On ne changerait pas un mot pour décrire Il Buco dont la poésie envoûtante finit par exclure, à force de refuser toute porte d’entrée dans un processus narratif volontairement flou qui l’entraîne vers un côté poseur. Comme si Frammartino contemplait ses propres images bien plus qu’il n’avait envie de les partager.
Thierry Cheze
MISS MARX ★★☆☆☆
De Susanna Nicchiarelli
Après un film consacré aux dernières années de la chanteuse Nico (Nico, 1988), Susanna Nicchiarelli s’attaque à une autre figure féminine puissante mais moins habituée aux feux des projecteurs. Eleanor Marx, la fille cadette de Karl Marx, qui, comme son père, fut une activiste engagée, l’une des premières à lier combats socialiste et féministe. La réalisatrice la raconte dans la sphère publique comme privée, écrasée par une histoire d’amour aussi passionnelle que tragique. On ne peut nier son sens de la pédagogie mais sa réalisation trop voyante (ces confessions face caméra qui font gadget) ou l’utilisation pataude de tubes pop rock de fait anachroniques surlignent de manière trop voyante la modernité du personnage, que sait pourtant si bien incarner tout en finesse la trop rare Romola Garai. Trop occupée à faire passer son message, la cinéaste n’y a pas été assez attentive.
Thierry Cheze
LOS FUERTES ★★☆☆☆
De Omar Zúñiga Hidalgo
Avant de s’envoler pour le Canada, Lucas débarque chez sa sœur dans une maison face à la mer dévoilant un bel horizon, quelque part dans le Sud du Chili. Les vents fussent-ils contraires, portent les sentiments du jeune homme vers Antonio, un beau et ténébreux pêcheur. Le coup de foudre est réciproque. La passion vite partagée et consommée, permet d’installer rapidement une jolie romance dans un écrin aux allures de bout de monde. La mise en scène se joue habilement de la grâce qui émane de ces deux amants peu perturbés par un environnement très apaisé. Le metteur en scène tente par petites touches d’explorer les subtilités du cœur et du désir, malheureusement l’ensemble - scénario, interprétation, rythme… - est beaucoup trop sage et linéaire pour créer ne serait-ce qu’un peu de mouvement. Dommage.
Thomas Baurez
PREMIÈRE N’A PAS DU TOUT AIME
PETITE LECON D’AMOUR ☆☆☆☆☆
De Eve Deboise
Une ado amoureuse de son prof glisse une lettre d’amour désespérée dans un tas de copies. Lequel « tas » oublié dans un café va se retrouver en possession d’une jeune femme qui, horrifiée par la missive, décide d’aider ledit prof à retrouver l’élève. A ce stade du récit les doutes ne viennent pas tant de la situation que du rythme (poussif), de l’esthétique (trop fabriquée), et du scénario (pas drôle). L’idée que le ressort comique ait pour finalité de savoir si une ado va se suicider ou pas pourrait à la rigueur s’entendre, si une ironie vacharde inondait l’ensemble. Mais ce qui inonde surtout ici c’est une capacité à faire durer des situations hors sujet et se prendre dans le propre tapis de son inconséquence. Mention spéciale cependant au duo Laetitia Dosch- Pierre Deladonchamps qui joue le jeu jusqu’au bout malgré la quasi-certitude du naufrage.
Thomas Baurez
Et aussi
Laissons les morts engloutir les morts de Paul- Anthony Mille
Ténor de Claude Zidi Jr.
Très belle journée de Patrice Laliberté
Reprises
Martin Roumagnac de Georges Lacombe
Péché mortel de John M. Stahl
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