Ana de Armas et Ben Affleck s’amusent comme des fous dans le come-back du roi du thriller sexy Adrian Lyne.
Tiens, Adrian Lyne ! L’homme n’avait plus donné de nouvelles depuis Infidèle, en 2002, il y a vingt ans tout rond. Formaliste endiablé et ancien champion du box-office, compagnon de route de la génération Ridley Scott / Alan Parker, responsable d’au moins deux séismes esthétiques majeurs dans le cinéma américain des années 80-90 (« l’esthétique MTV », avec Flashdance, la vogue « psycho-sexuelle », avec Liaison fatale), il revient à son péché mignon, son genre favori (du moins celui auquel on l’associe), le thriller érotique, via cette adaptation d’un roman de Patricia Highsmith publié en 1957, et déjà porté à l’écran par Michel Deville en 1981, avec Isabelle Huppert et Jean-Louis Trintignant.
Depuis 2002, le monde a changé, le cinéma aussi, mais manifestement pas Adrian Lyne : son film s’offre à nous comme un thriller BCBG à l’ancienne, un peu fripon, coquin et voyeur, dans la lignée de Liaison fatale et Proposition indécente. Comme un plaisir oublié et vaguement coupable, extirpé des limbes de nos années VHS. Le maître des lieux affiche d’emblée la couleur : la première scène du film montre Ben Affleck rentrer chez lui après une balade en vélo, et enlever ses vêtements pour se changer – la braguette de son pantalon fait un « zip » particulièrement sonore, comme un effet de signature un peu trivial… Situé en Louisiane, le film décrit la relation très tordue au sein d’un couple friqué interprété par Affleck et Ana de Armas : Madame affole la bonne société en s’affichant sans vergogne avec ses amants dans les soirées mondaines, trompant son mari au vu et au su de tous, tandis que Monsieur assiste à ce petit cirque, impuissant, mais étonnamment placide. On réalise très vite que les nombreux amants de la femme ont une fâcheuse tendance à disparaître sans explication ou à mourir dans d’étranges circonstances… Drôle d’intrigue, où tout semble se faire en plein jour, les infidélités comme les meurtres, sans qu’aucun membre de cette communauté dépeinte comme autarcique ne semble réellement s’en inquiéter. Ce vrai-faux suspense débouchera sur une conclusion assez retorse et immorale, et permet à Lyne d’explorer à nouveau ce qui restera comme le grand sujet de sa filmo, dont Neuf semaines et demi était l'expression la plus explicite : la part de sado-masochisme inhérente à la vie de couple.
S’il n’est plus le styliste exalté qu’il était au temps de sa splendeur, le réalisateur fait quand même preuve ici d’une certaine vigueur, qui se manifeste dans les amusants détails égrillards qui ponctuent le récit, ou l’affirmation d’obsessions stylistiques éternelles, toujours un peu gratuites – cet entêtement à filmer l’eau, notamment, des gouttes de pluie sur une vitre de voiture à cette pool-party où l’hédonisme bon enfant prend soudain des airs cauchemardesques, quand la météo vire à l’orage. Ça n’empêche pas Eaux profondes, comme Infidèle avant lui, de s’égarer dans des péripéties parfois tellement outrées qu’elles en deviennent grotesques, en particulier dans un dernier quart d’heure en roue libre.
Mais la véritable attraction du film, ce sont ses deux têtes d’affiche, phénoménales. Ben Affleck a l’air de beaucoup s’amuser dans cette variation sur son personnage de Gone Girl : l’homo americanus sans qualité, un peu sympa, un peu veule, qui a fait fortune grâce à une invention moralement contestable (des puces informatiques ayant permis le développement des drones de combat utilisés par l’armée). Il erre dans le film l’air faussement assoupi, dévoilant soudain, au crépuscule, sa carrure de Batman prêt à réduire ses ennemis en bouillie. Ana de Armas redéploye quant à elle deux heures durant le tourbillon de séduction insensé de son apparition dans le dernier James Bond, sur un mode plus pervers, moins ingénu. Elle est impressionnante d’énergie, semblant constamment caler le film sur son tempo à elle, mais finit surtout par émouvoir, en laissant percer par petites touches un désespoir abyssal sous l’exhibitionnisme agressif dont fait preuve son personnage, cette sorte de nymphomanie trop théâtrale pour être honnête – une prestation qui rend plus impatient encore de la découvrir en Marilyn dans le Blonde d’Andrew Dominik.
Eaux profondes (Deep Water), de Adrian Lyne, avec Ana de Armas, Ben Affleck, Tracy Letts… Sur Amazon Prime Video.
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