Hugh Grant nous présente M. Reed, son "personnage complexe" de Heretic
Première/A24

"Je devais absolument le rendre séduisant, transformer cet homme en professeur groovy."

Hugh Grant expliquait récemment avoir "retrouvé le goût du jeu" grâce à Cloud Atlas, des sœurs Wachowski, un film au concept original pour lequel il avait accepté d'incarner six personnages très différents. A l'occasion de la sortie en salles de Heretic, une production horrifique de A24 réalisée par Scott Beck et Bryan Woods, qui vient d'arriver dans les salles obscures, le comédien britannique se livre dans Première. En couverture de notre numéro de décembre, il revient sur l'ensemble de sa carrière, détaillant "le malentendu" qui lui a longtemps collé à la peau, lui qui ne se percevait pas du tout comme un héros romantique et qui est devenu LA star la plus charmante de ce genre de films, de Quatre mariages un enterrement à Love Actually.

Pour lire l'entretien complet, rendez-vous en kiosques, mais voici un extrait au cours duquel il présente son nouveau personnage, le très inquiétant professeur Reed.

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PREMIÈRE : Hugh, on avait envie de vous rencontrer parce que Heretic nvous emmène sur des terres que vous n’aviez jamais explorées jusqu’à présent. L’horreur, le cinéma indépendant avec A24 et un personnage de méchant ultime… Qu’est-ce qui vous a pris ?

HUGH GRANT : C’est une bonne question. Tout d’abord, je trouve que c’est toujours très amusant d’essayer de nouvelles choses. Vous parliez d’A24 et je pense que ce qu’ils font pour le cinéma est… salutaire. Juste au moment où je pensais que cette industrie était mourante, voilà un studio qui sponsorise et promeut des films très originaux. Je ne vous cache pas que ce sont les raisons pour lesquelles j’ai été attiré par ce projet. C’est un film original qui s’affranchit de beaucoup de règles du cinéma et qui, du point de vue du jeu, allait me lancer beaucoup de défis. Et puis surtout, il y avait M. Reed. Un personnage complexe, étrange. Inquiétant. Je devais absolument le rendre séduisant, transformer cet homme en professeur groovy.

Ce M. Reed est un peu le sommet de ce que vous appelez votre période freak (« freak show era »). Pourriez- vous la définir ? Par exemple, à quel moment commence-t-elle ?

Je dirais après que ma carrière dans les comédies romantiques s’est abruptement arrêtée dans les années 2010. À ce moment-là, je me suis dit : « OK, c’était amusant, maintenant, passons à autre chose. » J’ai commencé à m’investir dans des campagnes politiques à Londres. J’avais vaguement renoncé à faire l’acteur. Malgré tout, des gens ont commencé à me proposer des caméos, parfois un peu étranges, dans des films assez éloignés de ce que j’avais fait jusque-là. Et j’ai accepté – pour m’amuser. Ça a démarré avec Cloud Atlas, et progressivement, les choses ont pris de l’ampleur. Il y a eu le personnage de St Clair dans Florence Foster Jenkins, avec Meryl Streep. Et puis, évidemment, Buchanan dans Paddington 2 est arrivé et j’ai enchaîné avec A Very British Scandal où je jouais le politicien très trouble, Jeremy Thorpe. J’ai alors compris qu’il y avait tout un aspect de mon jeu que j’avais négligé, voire pire, que j’avais arrêté de travailler à partir du moment où j’ai enchaîné les comédies romantiques. Mais c’était sans doute comme ça que les choses devaient se passer.

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Warner Bros Pictures France

Hugh Grant et ses multiples rôles de Cloud Atlas, 2013.

Alors, précisément, comment passe-t-on du gentil Hugh à l’effrayant héros de Heretic ?

C’est ce que j’appelle la marinade. Vous savez ce que c’est ? Vous prenez un morceau de viande que vous laissez macérer un jour ou deux. La viande s’imprègne ainsi des condiments, se nourrit de parfums différents… C’est ce que je fais avec les individus que j’interprète. Des longues, très longues marinades de personnages, des mois avant de faire le film. Je lis le scénario et je me pose plein de questions. Essentielles ou totalement accessoires. Pourquoi à ce moment-là Reed dit cela ? Pourquoi fait-il ce geste particulier ? Et la réponse soulève parfois une autre question. Au fil du temps, je construis une gigantesque biographie du personnage que j’écris (parfois sur des centaines de pages). Ensuite, j’infuse le scénario de ces recherches. J’écris dans la marge, au crayon, ce que j’ai appris, je note mes idées sur ce qui peut se passer dans la tête et dans le cœur du type.

C’est un processus très intellectuel. Or, ce qui caractérise les héros de votre « période freak », c’est qu’ils existent aussi à travers un élément physique. Les lunettes de Reed dans Heretic ou celles de Fletcher dans The Gentlemen, le tartan de Buchanan dans Paddington 2

C’est vrai. C’est le côté burlesque dont on parlait. Il y a généralement un élément objectif qui corrobore mes intuitions. Presque des épiphanies qui me font soudain dire : « C’est lui ! » Et c’est effectivement très souvent un costume ou un accessoire. Par exemple, dans le cas de M. Reed, il s’agissait d’un double denim. Finalement, dans le film, je n’en porte pas, mais à un moment donné, en essayant un costume dans ce style, je me suis dit que j’avais trouvé le personnage. L’ensemble en jean reflétait ce professeur branché tout droit sorti des années 80-90. Reed est pour moi un de ces types qui portait jean et chemise en jean, avec des lunettes en plastique, un peu iconoclastes et prétentieuses. C’est l’autre avantage de ces accessoires, ils ajoutent du plaisir au jeu. Or, depuis Cloud Atlas, je prends beaucoup de plaisir à créer ces personnages. Pour Reed, j’ai même rajouté quelques blagues, et surtout appuyé un peu son côté égoïste… Je me suis vraiment amusé avec lui : en dehors du plaisir de l’acteur, je savais que ça renforcerait le côté horrifique du film.

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Puisque vous en parlez : il y a quelque chose de très narcissique dans tous vos rôles récents. Reed, Phoenix Buchanan, St Clair…

Vous avez tout à fait raison d’identifier ce fil conducteur. Et c’est d’ailleurs un peu inquiétant. (Rires.) Est-ce que je suis attiré par ces Narcisse ? Ou bien peut-être que je transforme tous ces personnages en narcissiques et dans ce cas-là ça dit quelque chose de terrible sur moi, non ? Ou alors, c’est juste la façon dont j’interprète désormais la plupart des êtres humains. Peut-être à cause du monde dans lequel j’ai évolué, le show-business et un peu le monde politique. Là, les narcissiques sont partout, même si certains n’en avaient pas l’air et semblaient de prime abord tout à fait charmants et sympathiques, peu à peu, on se rendait compte que tout tournait autour d’eux. Leur égoïsme est sans doute un moyen pour eux de compenser une blessure.

Encore une chose qui rassemble tous vos freaks récents, même si dans le cas de Reed, c’est très prononcé.

Quand vous jouez un méchant, c’est important de trouver le trauma originel. Comment quelqu’un peut-il en arriver là ? C’est généralement un mécanisme d’adaptation à une blessure initiale, une chose terrible qui s’est produite dans le passé et dont il souffre encore. Dans la biographie que j’ai faite de lui, j’ai toutes sortes de théories sur Reed, mais l’une d’entre elles est qu’il était… fondamentalement solitaire. Il a sans doute eu du mal à nouer des liens avec les gens, même s’il était très intelligent et qu’il essayait de se socialiser constamment. C’était le type qui n’était pas invité aux soirées. Et plus il essayait d’être drôle ou remarqué, plus on l’ignorait. J’ai le sentiment qu’il essayait de faire face à sa profonde solitude.


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