Le sculpteur que vous incarnez dans L’Artiste et son modèle n’est pas sûr de ses choix. Vous sentez-vous proche de lui ?Oui. Dans mon métier et dans mon caractère, j’ai toujours été dévoré par le doute. Est-ce une bonne chose ? Je pense que oui si on a une sensibilité artistique. En tout cas, la certitude est ridicule. On peut avoir des bouffées de certitude très courtes, mais le doute est indispensable.Le film vous renvoie aussi à votre adolescence. Vous avez vu des horreurs sous l’Occupation puis à la Libération. Est-ce pour cette raison que vous avez été attiré par le métier de comédien ? Parce qu’il permet de se réfugier dans la fantaisie et la fiction ?Je trouve cette analyse assez juste. J’ai toujours eu du mal à m’adapter à la réalité. Pendant ma scolarité, j’étais incapable de me concentrer sur des sujets qui ne m’intéressaient pas, de mémoriser des choses qui ne faisaient pas partie de « l’ailleurs ». « Jean, tu as encore oublié d’aller chercher le pain... » C'était ça ma vie d’enfant et d’adolescent. Je ne comprenais pas pourquoi, alors que j’avais un frère qui faisait des études fort brillantes. Le décalage était encore plus évident pour mes parents. Je me dis qu’indéniablement, ce que j’ai vu entre 10 et 15 ans m’a intimé l’ordre d’ouvrir une autre porte.Vous avez connu beaucoup de premières fois, mais vous est-il arrivé de vous dire : « Là, c’est la dernière » ?J’ai ressenti très fortement ce sentiment au moment des ruptures, ces douleurs si profondes. Et puis, ça peut paraître curieux, anodin et un peu ridicule mais, après le drame de Don Quichotte, mon corps m’a fait comprendre que je ne pourrais plus me promener seul en forêt avec ma jument préférée. Ça faisait partie des moments magiques de la vie. En être privé a été très dur. Au cours du tournage de L’Artiste et son modèle, j’avais réellement décidé de ne plus rien faire après. Aujourd’hui, j’en suis moins certain. Si je tombe sur quelque chose que j’ai envie de partager avec mes contemporains, peut-être que je recommencerai, si toutefois mon corps m’y autorise.Et si Tarantino vous proposait un western ?À une époque, des Canadiens nous ont proposé, à Noiret, Marielle, Belmondo et moi, de faire un western. Hélas, ça n’a jamais abouti. Mais si Tarantino a envie d’un vieillard qui mâchouille du tabac dans un bar de cow-boys, c’est d’accord !Propos recueillis par Gérard DelormeL'entretien intégral avec Jean Rochefort